Phénomène L’étonnant Philipp Plein
Bling et outsider, deux qualificatifs qui ne font pas bon ménage… Mais c’est ce que ce créateur revendique pour définir son univers. Sa boutique imposante joue le côté design, d’abord appliqué aux lits pour chien, au mobilier puis à une mode urbaine qui c
Rue de Rivoli, à Paris, au 250, un vendredi soir avant Noël. En vitrine, des mannequins articulés courent sur place. A l’intérieur, on sort le champagne, les grosses basses résonnent dans la boutique Plein Sport, au sol fait d’écrans LED. Autour d’un sac de boxe en cuir matelassé ou d’un panier de basket doré, la faune attend son roi. Il paraît que certains joueurs du PSG feront le déplacement pour l’inauguration de la boutique. Il paraît même que le rappeur Lacrim fera un saut pour voir celui qu’il cite dans ses titres et ses clips. Philipp Plein, lui, n’est pas loin. Au Ritz plus précisément. Il se fait désirer, pendant qu’il filme sur son smartphone la vue de sa suite et la met sur Instagram. Un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un chien dans un jeu de quilles. On pourrait en citer d’autres, des expressions qui résument en quelques mots Philipp Plein.
Pour savoir un peu qui est le créateur allemand, il faut parcourir son compte Instagram, peuplé de dizaines de chandeliers dans son penthouse à New York, de filles sexy, de voyages en jet entre Monaco et Macau, de carrosseries de Rolls et de copains en costard. Oui, c’est bling et m’as-tu-vu. Difficile de ne pas le remarquer, mais il l’assume complètement. « Nous sommes brillants, forts et sexy, revendique-t-il, tatouages et barbe bien taillée. Nous ne suivons pas les tendances et nous serons toujours des outsiders. » On peut trouver cela insupportable, sa vie reste tout de même fascinante. Même son bureau de presse, l’un des plus prestigieux du monde de la mode, s’amuse de ses codes. Car il bouscule toute la fashion avec son style inspiré de la rue et des égéries populaires.
« J’ai fait des études d’avocat, explique le Munichois de 39 ans, fils de chirurgien cardiaque. Mais j’ai très vite décidé de me tourner vers le design. » Le jeune homme crée alors des lits luxueux… pour chien. L’idée serait venue de sa mère, après que ses chiens aient détruit les paniers Burberry qui leur étaient destinés. Son petit business de niche cartonne. « En 1998, avec mes économies et l’aide de mon père, j’ai lancé ma première collection de mobilier que j’ai présentée notamment au salon Maison & Objet à Paris. Un jour, pour présenter un placard, j’ai créé une parka avec une grande tête de mort en cristaux Swarovski qui décorait déjà une ligne de coussins. J’ai reçu plus de demandes sur la
parka que sur le placard. J’étais un peu surpris, mais c’est à ce moment-là que j’ai décidé de me lancer dans la mode. »
Il est alors un jeune de 20 ans, avide et pressé de bâtir un empire. Son histoire, sa légende même, consiste à se présenter comme l’acteur d’une success story à la Tony Montana, le héros d’une dynastie de nouveaux riches dont il affiche avec délectation les signes extérieurs. L’Allemand d’origine, dont la marque a été lancée et installée à Milan et en Suisse, se sent bien à Manhattan ou sur la côte californienne, où il est en train de faire construire une énorme villa sur les collines de Bel Air, le quartier ultra-huppé de Los Angeles. Plein est plein aux as et il le montre. Le groupe affiche un chiffre d’affaires de 170 millions en 2015 et prévoit d’atteindre 198 millions cette année. La maison espère totaliser 50 boutiques en deux ans. Elle a inauguré notamment en octobre son premier magasin Philipp Plein Junior à Harbour City, un énorme centre commercial de Hongkong.
Et vient donc de lancer la marque Plein Sport sur un segment très précis. « C’est la première marque de sport de luxe, explique le rusé business-man. J’ai étudié le marché pendant des années et j’ai remarqué que Nike et Adidas le dominent. Impossible donc de les concurrencer directement, mais j’ai voulu faire un pas de côté. Nous ne voulons pas sponsoriser des équipes de foot mais plutôt les sports extrêmes, où les athlètes sont un peu dingues, avec des tas de followers sur les réseaux. » Les prix sont plus chers que chez les grands du sportswear, mais restent inférieurs à ceux de la maison mère, où le moindre jean avoisine les 400 euros et le T-shirt flirte avec les 200 euros. Pour justifier ses prix, Philipp Plein s’est lancé dans une course effrénée pour rattraper ses aînés comme DSquared2, Cavalli, Armani ou Dolce & Gabbana. « Des vraies inspirations », selon lui, et des modèles économiques indéniables, avec des offres ultra-diversifiées. On pense à Christian Audigier, aux marques Von Dutch ou Ed Hardy dans les années 2000.
Plein met la gomme sur des défilés à Milan hors normes, avec pléiade de stars du foot ou de la chanson, avec gros engins mécaniques, Jet-Ski, skate park ou même manège à sensations… Tout va très vite, il frappe fort, et la mode adore. Franca Sozzani du « Vogue » italien, disparue en décembre dernier, raffolait du personnage. Tout comme Carine Roitfelfd, ex du « Vogue » France. Et il y a toute la communauté Plein: les footballeurs Dimitri Payet, Mario Balotelli, Adrien Rabiot, Pierre-Emerick Aubameyang, mais aussi Samuel Eto’o, David Beckham ou Nicolas Anelka. Les rappeurs comme Gradur, Wyclef Jean, Iggy Azalea, Snoop Dogg portent Philipp Plein et ses designs Kalachnikov, crâne, tigre, requin, drapeau américain avec du noir, du clouté, du doré. « Ici, tout le monde met que du Philipp Plein /Une, deux transacs et t’es dans le bain », chante le Français Lacrim, dont les clips sont des défilés pour la marque… « J’aime m’inspirer de la rue, c’est important, explique le créateur allemand. Mes clients ont un style unique, ils ont confiance en eux, ils veulent être différents. » Récemment, il a acquis la marque créée par l’ex-patron de Formule 1, Flavio Briatore. Son nom? Billionnaire. Tout un programme. A Milan, en janvier dernier, le défilé avait pour thème « Dallas », avec des looks de J. R., chapeau de cow-boy et bottes de magnat du pétrole. Plein a décidément du pif: la mode est aux multimillionnaires, surtout ces derniers temps à Washington.