L'Obs

L’hôtel Coop-Phane

MÂCHER LA POUSSIÈRE, PAR OSCAR COOP-PHANE, GRASSET, 320 P., 20 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

ROMAN

Quelque part en Italie, dans une probable Sicile, on ne sait trop quand, le destin de l’impérial baron Stefano bascule à l’heure de l’apéro – de l’amer glacé, évidemment. Depuis sa terrasse, il a vu un gamin, torse nu, farfouille­r dans ses oliviers et ses amandiers, il a pris sa carabine, a tiré et a tué ce « petit crétin ». La victime, âgée de 15 ans, était le neveu du chef de la mafia locale, alias l’Autruche. Lequel, en guise de représaill­es, enferme Stefano à perpétuité dans un hôtel de luxe gardé par des hommes de main qui l’abattront s’il tente de s’enfuir. Mais veut-il vraiment s’enfuir, ce baron sans remords, mais pas sans regrets, seulement ennuyé de devoir vivre loin de son beau domaine et sans pouvoir désormais régner sur ses gens ? Ce gros roman raconte comment, jour après jour, en attendant la mort, Stefano tente de reconstitu­er son empire en huis clos et de prolonger ses privilèges dans la suite 416 d’une prison dorée. A la manière d’un personnage de Pirandello plongé dans un polar de Mario Puzo, l’aristo déchu se promène dans les couloirs et les étages en costume de lin blanc, précédé d’une odeur de tabac froid et d’huiles rares. Il séduit une femme de chambre de 17 ans – « une beauté qui s’ignore » –, commande au barman, convoque le barbier, boit beaucoup, se shoote à la morphine – « ce n’est pas un frisson, c’est une réponse » –, lit, s’ennuie et se comporte comme s’il était le maître d’un jeu qu’il a pourtant perdu. Jusqu’au jour où il apprend que l’Autruche, son invisible geôlier, vient de mourir. L’heure aurait-elle enfin sonné de son affranchis­sement ?

Oscar Coop-Phane (photo), 28 ans, l’écrivain prodige, vagabond et tatoué de « Zénith-Hôtel », « Demain Berlin », « Octobre », livres brefs, laconiques et planants, s’essaie pour la première fois au grand roman – comme s’il passait du court au longmétrag­e. Cette louable ambition ne va pas sans quelques digression­s superflues et, parfois, une prose un peu grandiloqu­ente. Mais Coop-Phane a toujours le talent singulier de sa précoce obsession : décrire les affres de la solitude et raconter comment on tente de se guérir de la fatigue de vivre. Nanou, la prostituée de « Zénith-Hôtel », écrivait : « J’esquinte le temps. » Stefano, le séquestré de ce Crépuscule-Hôtel, pourrait dire la même chose, avec le même désabuseme­nt. Il esquinte le temps jusqu’à l’abolir tandis que, dans une chambre voisine, à peine débarqué à Palerme, Raymond Roussel, le dramaturge de « la Poussière de soleils », met fin à ses jours. Comme en Sicile, c’est noir et caniculair­e.

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