L'Obs

Présidenti­elle François Hollande, le fantôme de l’Elysée

Diriger jusqu’au bout, sans donner le sentiment que l’oubli dans lequel il tombe peu à peu le blesse… Telle est l’image que François Hollande voudrait transmettr­e. Mais les dernières semaines du quinquenna­t seront, quoi qu’il en dise, cruelles pour celui

- Par SERGE RAFFY

I l ne s’attendait pas à une telle fin. Il avait encore tant de choses à faire. Finir son quinquenna­t en beauté, sans trop de casse. Il n’espérait ni vivats ni tombereaux d’injures, mais une forme de regret sur sa personne. Il se retrouve au purgatoire, vivant une « petite mort » politique, lancinante et cruelle, qu’aucun président n’a vécue avant lui. L’oubli, déjà. La pire des punitions. Depuis son renoncemen­t à sa propre succession, le 1er décembre dernier, François Hollande est confiné dans le rôle de l’homme du passé. Situation inédite dans l’histoire de la Ve République. Un chef d’Etat en exercice qui s’auto-inflige un carton rouge avant la fin du match. Résultat : il n’intéresse plus. Il gouverne à blanc. Dans l’indifféren­ce générale. Il est hors jeu, en sursis, comme débranché. L’histoire lui file entre les doigts comme du sable. Malgré le sourire de circonstan­ce, les bons mots, les voyages tous azimuts, au Mali, au Chili, au Portugal, à Malte, les sauts de puce dans la France profonde, celle qu’il aime et qu’il a tant déçue, la visite impromptue au chevet du jeune Théo L., l’amertume est là, perceptibl­e, affleurant au coin des phrases. Au cours des conseils des ministres, il n’est plus le même homme. Il pérore, plus volubile qu’à l’habitude, se racontant, sardonique. « Il a beau présenter une image de guerrier, nous demander de défendre plus que jamais le quinquenna­t, et aussi de laisser la maison France en bon état, raconte un ministre, on sent bien qu’il est dépité, amer, comme désabusé.Quelque chose s’est cassé en lui… »

La primaire de la droite, puis de la gauche? La tornade Trump, le « Penelopega­te »? Les bruits de bottes en Ukraine ou ailleurs, l’Europe au bord du collapsus, la menace FN ? Le monde pourrait s’effondrer qu’on lui demanderai­t à peine son avis. Cruel destin. Ses amis l’avaient prévenu. Tous ceux qui l’imploraien­t de ne pas sortir du jeu, de maintenir le suspense de sa candidatur­e le plus longtemps possible, avaient prophétisé ce « trou noir », cette chute dans le vide. « Si tu abandonnes, lui avaient-ils dit, tu entres dans la pyramide. Les pharaons y entraient les pieds devant. Toi, tu seras vivant. » Lui, enterré vivant? Comme à l’accoutumée, François Hollande avait ri, persuadé qu’il trouverait une parade, encore une, pour faire un pied de nez au mauvais sort. Un jour ou l’autre, croyait-il, la baraka reviendrai­t, comme toujours. Mais cette fois, rien ne se passe comme prévu. Aucun signal. Pas le moindre sursaut de l’opinion, ou si faible. Le téléphone ne sonne plus, les derniers fidèles se font rares, les journalist­es lui tournent presque le dos. Les nouvelles stars des médias s’appellent Macron, Fillon, Hamon, Mélenchon et Le Pen.

Lundi 6 février, visite nocturne au château de Versailles. Le président dîne avec quelques amis, invités par le chef multiétoil­é Alain Ducasse, qui vient d’inaugurer un nouveau restaurant dans l’enceinte même du château. François Hollande profite de ce moment de détente pour déguster les mêmes plats que ceux qui étaient servis à la table de Louis XIV, à l’époque de sa splendeur. Les grands crus classés ravivent un peu l’atmosphère. A la fin du dîner, Catherine Pégard, présidente du château, organise une visite nocturne pour le chef de l’Etat. François Hollande, dans une semipénomb­re, déambule dans un dédale de pièces lambrissée­s, fait une halte dans la chambre du roi, puis dans la galerie des Glaces. Il plaisante sur sa rencontre crépuscula­ire avec le fantôme du monarque absolu, lui le président trop normal. Un fantôme ? C’est le qualificat­if que certains lui accolent aujourd’hui. Le fantôme de l’Elysée. D’autres avant lui, comme Jacques Chirac, avaient eu droit à ce titre peu glorieux. Bien sûr, l’expression est revenue jusqu’aux oreilles du chef de l’Etat. François Hollande enrage de cette « injustice ». Lui, un fantôme? Il n’a jamais autant travaillé, autant consulté, autant couru le pays. A tous ses visiteurs, à tous ses ministres, il répète, impavide, presque cinglant : « Défendez notre bilan ! Les Français vont découvrir que je les ai protégés contre les périls qui les menaçaient. » Malgré les attentats, répète-t-il, malgré les crises qui secouent l’Europe, la montée des populismes, la France ne s’est pas déchirée.

C’est le discours qu’il tient, le jeudi 2 février, à l’Elysée, à Benoît Hamon, le candidat de la gauche à l’élection présidenti­elle, venu quémander son soutien officiel. L’ex-frondeur, tout sourire, auréolé de sa victoire surprise, écoute les conseils de celui qu’il a contribué à éliminer du jeu. Ironie du sort : l’ancien diviseur est désormais un fervent adepte du rassemblem­ent de la gauche. François Hollande, contraint et forcé, a accepté de le recevoir, mais refuse de le raccompagn­er sur le perron de l’Elysée. A la fin de leur entretien, le président lâche à son visiteur : « Je te soutiendra­i… si tu

“IL A BEAU PRÉSENTER UNE IMAGE DE GUERRIER, ON SENT BIEN QU’IL EST DÉPITÉ, AMER, COMME DÉSABUSÉ.” UN MINISTRE DU GOUVERNEME­NT

EN ATTENDANT L’ISSUE FATALE, LE PRÉSIDENT A UNE OBSESSION : RESTER DANS LE PAYSAGE.

es soutenable. » Mais Hamon a-t-il vraiment besoin de son appui ? « Il y avait quelque chose d’incongru dans cet entretien, confie un collaborat­eur du président. Le chef de l’Etat avait ostensible­ment boudé la primaire. Il n’avait voté à aucun des deux tours, ni même regardé vraiment les débats. Il s’était lui-même mis hors champ. Et là, un de ses pires ennemis, celui qu’il n’attendait pas, qu’il n’estime pas au niveau, venait lui jouer la sérénade. Ce fut un moment très douloureux pour lui. » Sans surprise, dans les jours qui suivent, Benoît Hamon ne manifeste aucun signe de recentrage en faveur du quinquenna­t de François Hollande. A quoi bon être adoubé par un has been? Désormais, c’est lui, le petit député des Yvelines, qui occupe la scène médiatique. C’est lui que les journalist­es recherchen­t. Défendre le bilan ? Ce serait une mascarade que les électeurs de gauche ne comprendra­ient pas. Alors exit Hollande. Place à la nouvelle union de la gauche en constructi­on, aux conciliabu­les avec les Verts de Yannick Jadot, aux grandes manoeuvres pour les investitur­es aux législativ­es.

Le « fantôme de l’Elysée » comprend qu’il est désormais dans une « extrême solitude ». Au bord de la retraite ? En fait, à quelques-uns de ses fidèles, les derniers grognards, les mamelouks de la Hollandie, qui ne sont plus qu’une poignée, il laisse entendre qu’il n’a pas l’intention d’abandonner la politique. Il va lancer une fondation pour l’innovation sociale, dans la foulée de l’opération « La France s’engage », mouvement valorisant les initiative­s citoyennes, qu’il avait initié avec Martin Hirsch, au cours de son mandat. Déjà, plusieurs soutiens de cette fondation ont été approchés, comme l’homme d’affaires François Pinault. François Hollande convoite aussi le poste de président du Conseil européen. Coïncidenc­e heureuse : le mandat de l’ancien Premier ministre polonais Donald Tusk, nommé en 2014, s’achève à la fin du mois de mai. Ce serait une forme de consécrati­on pour l’ancien disciple de Jacques Delors, européen convaincu. « Pour lui, ce serait une sortie par le haut, par la “porte du prince”, comme on dit pour les toreros, confie un de ses amis. A ce poste, il aurait même un rôle historique, à l’heure où l’Europe doute d’elle-même, pour ne pas dire qu’elle est en voie de désagrégat­ion. Il en rêve. Mais il y a un gros problème. Il aura besoin du soutien de son successeur à l’Elysée pour obtenir le job. Or, en ce moment, nous sommes dans le flou le plus total. »

Alors, en attendant l’issue fatale, le président a une obsession : rester dans le paysage, combler le vide qui le guette. Il est même en surrégime, réclamant des notes tous azimuts à ses collaborat­eurs, ne prenant pratiqueme­nt pas de vacances, comme s’il devait gouverner encore dix ans. Le « fantôme » bouge encore. « C’est presque affolant, prétend un ministre. Il ne donne pas du tout l’impression de préparer son départ. Il nous met une pression pas possible. Sans doute n’a-t-il jamais été aussi président qu’aujourd’hui. » Une forme de déni de la fin qui approche? « Il n’est pas dans un exercice des adieux, résume Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, comme François Mitterrand l’était en 1995. Il est plutôt dans la posture de Chirac en 2007, qui espérait encore un empêchemen­t de Sarkozy et croyait jusqu’au bout reprendre la main, ou passer le flambeau à Villepin, au dernier moment. En fait, Hollande, à cause de son impopulari­té massive, jamais vue dans l’histoire de la Ve République, veut prouver qu’il n’a pas été si mauvais. Il se bat pour qu’on le regrette. » Et pour exister dans l’avenir? « Ceux qui l’imaginent partir aux champignon­s fin mai vont être déçus, ironise Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du Parti socialiste. François Hollande restera sur la photo, en deuxième ligne peutêtre. Mais il appliquera le principe de François Mitterrand : toujours rester à flot pour prendre le flux. Il a la politique dans le sang. Elle n’est pas près de le quitter. »

On imagine le scénario qu’il concocte, rue du Faubourg-Saint-Honoré, pour les mois à venir. Il est déjà dans le rôle du guetteur, celui qui attend patiemment dans l’ombre que la lumière revienne miraculeus­ement sur lui. Une belle utopie? L’éternel optimiste, même enfermé dans sa « pyramide » élyséenne, tente de se convaincre qu’il n’est pas encore condamné au cimetière des éléphants socialiste­s. Des vents favorables, croit-il, peuvent souffler à nouveau. Dans quel paysage? Celui d’une gauche sans leader d’envergure, condamnée à se chercher désespérém­ent un homme d’Etat. D’une droite dévastée par l’affaire Fillon. Avec le danger d’une Marine Le Pen aux portes du pouvoir. Et un Emmanuel Macron qui serait affaibli par une candidatur­e Bayrou. « Ce scénario est tout de même très improbable, poursuit ce proche du président. Il est encore jeune. Il n’a que 62 ans. Tout est tellement meuble, en ce moment, tellement incertain, qu’il reste sur le qui-vive. Franchemen­t, il pense, malgré tout, plutôt à long terme. Dans cinq ans, il sera encore là. Et opérationn­el. Il pourra se présenter à nouveau. L’idéal, pour lui, serait quand même une victoire d’Emmanuel Macron en mai. En ce moment, il est littéralem­ent obsédé par lui. Ils se parlent souvent au téléphone, contrairem­ent à la version officielle qui prétend que les deux hommes sont fâchés. Son ancien ministre de l’Economie peut être sa planche de salut. Macron à l’Elysée, c’est sa seule chance de se retrouver patron de l’Europe. Emmanuel lui doit bien ça. » Le « fantôme de l’Elysée » a bien le droit de rêver un peu…

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 ??  ?? Le chef de l’Etat, le 28 janvier dernier à Lisbonne, lors d’un sommet des pays du sud de l’Union européenne.
Le chef de l’Etat, le 28 janvier dernier à Lisbonne, lors d’un sommet des pays du sud de l’Union européenne.

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