Numérique Demain, La Poste à tout faire
Est-ce que vous demanderiez au facteur de rendre visite à votre vieille maman, de promener votre chien, de tailler vos arbres ou de gérer vos factures ? Bientôt, c’est lui qui va vous le proposer ! Car La Poste entreprend de se réinventer pour pallier l’e
Lundi, 10h45. Dans sa maisonnette de Mallièvre, village de 250 habitants de la campagne vendéenne, Josette Bouaicha, 68 ans, guette l’arrivée de Véronique Caillaud, « sa » factrice. Elle n’attend ni lettre ni colis. Pourtant, chaque lundi et chaque vendredi, la postière rend visite à Josette, qui vit seule et souffre d’une insuffisance respiratoire chronique. Avant de reprendre sa tournée, Véronique fait signer Josette sur l’écran de son smartphone et envoie un compte-rendu par SMS à Jérémie, le fils de Josette qui a souscrit au service « Veiller sur mes parents », lancé par La Poste en octobre 2016 (à partir de 54,90 euros par mois).
« En novembre dernier, quand je me suis trouvée mal, j’ai appuyé là », raconte Josette, en désignant le médaillon de la téléassistance 24 heures sur 24, compris dans le service. Alors qu’elle peinait à se relever, elle a instantanément été mise en connexion avec une permanence téléphonique, qui a appelé les secours et prévenu ses fils. « Par chance, Véronique est arrivée à ce moment-là et a pu me tenir compagnie, en attendant l’ambulance », raconte-t-elle.
Volubile et souriante, la factrice des Herbiers prend à coeur sa nouvelle mission : « S’occuper ainsi des gens, ça a du sens. C’est une bonne manière de les connaître, au-delà du “bonjour-bonsoir” quand on distribue le courrier. » D’autant que ce courrier traditionnel, lui, fond plus vite que la banquise du pôle Nord : -6% à 7% par an, -30% de 2008 à 2015 ! Soit l’évaporation de 500 millions d’euros chaque année, sur une activité qui représente encore près de la moitié du chiffre d’affaires du groupe.
ALLIER L’HUMAIN ET LE NUMÉRIQUE
Si elle ne veut pas mourir, La Poste doit donc se réinventer. « Cette révolution est pour nous la période historique de transformation la plus complexe depuis cinq siècles », juge Philippe Wahl, PDG du groupe depuis septembre 2013. « Fin 2012, le numérique était une menace : le nom du phénomène qui condamnait notre modèle stratégique. Mais, très vite, on a identifié de nombreuses opportunités ». Parce que, même si tout se dématérialise, il faut bien in fine délivrer les colis, ou rendre aux citoyens des services physiques.
« L’humain prend davantage d’importance dans le monde numérique », affirme même Wahl. Or la proximité, c’est justement la spécialité du deuxième employeur public du pays. Ses 250 000 collaborateurs, dont 72 000 facteurs, et ses 17 000 points de contact lui procurent un maillage de l’Hexagone sans équivalent. D’où le mot d’ordre du plan stratégique « La Poste 2020 : Conquérir l’avenir » : « Le facteur humain pour tous, partout, tous les jours ! »
Le réseau postal a certes été reconfiguré, via des partenariats avec les commerçants ou les services publics locaux. Et – au grand dam des syndicats – le nombre de facteurs a diminué de 2% par an depuis 2011. Mais, au-delà de ces inévitables ajustements, le groupe ne veut se replier ni dans l’espace ni dans le temps. Ses bureaux s’inventent de nouvelles vocations : 140 000 personnes y ont déjà passé l’épreuve du Code de la Route. Et, contrairement aux postes d’Allemagne ou du Japon, qui baissent les bras sur le rythme des tournées, Philippe Wahl insiste sur leur maintien : « Diminuer la fréquence des passages du facteur serait une erreur stratégique. On livrera six jours sur sept, et même le dimanche, s’il existe une demande solvable. »
La Poste arme au contraire ses troupes pour l’ère digitale : une école interne délivre des « passeports numériques ». 22 000 collaborateurs sont connectés au nouveau réseau social .COM1. Les bureaux s’équipent de tablettes. Quant aux facteurs, ils sont tous dotés depuis un an d’un smartphone Facteo, auquel des briques logicielles sont ajoutées au fur et à mesure des nouvelles missions. « On gère la plus grosse flotte professionnelle sous Android au monde », note avec fierté Nathalie Collin, en charge du numérique et de la communication du groupe.
Les vives tensions sociales de l’automne, consécutives à des cas de suicide, ont abouti fin janvier à la signature
d’un important accord de groupe sur « l’avenir du métier de facteur ». Seuls la CGT et Sud n’ont pas signé ce texte, qui promet 3 000 embauches cette année, et aborde tous les sujets : promotion, remplacement, formation, rémunération des nouvelles tâches… « Tout n’est pas parfait, mais cela faisait dix ans qu’on n’avait pas conclu d’accord social de cette ampleur, estime Stéphane Chevet de la CFDT. Il était nécessaire de faire correspondre l’organisation du travail aux nouveaux besoins de l’entreprise. »
Les outils numériques dernier cri sont d’abord mis au service de la livraison de colis, qui explose avec l’e-commerce. Sur ce marché très concurrentiel, l’entreprise doit gérer les appétits de l’ogre américain Amazon, qui est à la fois son premier client… et un redoutable concurrent sur la logistique. La Poste lancera au printemps sa « Livraison + », qui remplacera avantageusement le formulaire jaune actuellement déposé dans votre boîte aux lettres par un SMS proposant des plages horaires de livraison de votre colis. Et il teste un « bouton connecté », qui permettra aux particuliers et aux entreprises d’envoyer des colis sans se déplacer, directement depuis leur boîte aux lettres ou leur siège. La Poste a aussi pris 20% du capital de la start-up de livraison intra-urbaine espress Stuart. Et elle s’est illustrée par une première mondiale avec sa ligne commerciale de livraison par drone à des entreprises isolées du Var !
Au-delà du commerce en ligne, La Poste vise aussi le marché naissant de la logistique urbaine. « Les grandes villes ont beau réduire le trafic automobile des particuliers, les flux de livraison de l’e-commerce menacent de les engorger, tout en détériorant leur environnement », explique Philippe Wahl, qui se rêve en chef d’orchestre de la desserte propre et coordonnée de ce trafic. Première victoire : La Poste vient de battre la Deutsche Bahn et Geodis, lors de la première compétition de ce type, à Grenoble. Plutôt que de plaquer de manière autoritaire un nouvel ordre numérique sur la vénérable maison, la direction veut embarquer tous ses agents dans cette nouvelle culture. Ainsi, le programme « 20 projets pour 2020 » fait remonter du terrain une moisson d’idées innovantes. « 250 dossiers sont examinés tous les ans, avec l’idée d’en sortir 4 projets viables », explique Philippe Mihelic, directeur de création et de l’innovation du groupe. Recruté en juin 2015, ce cofondateur de l’agence digitale FullSix anime Yellow Innovation : une structure interne qui joue à la fois le rôle d’agence créative au service des branches, de « fablab » et d’accélérateur de start-up partenaires.
CULTURE DE L’INNOVATION
En plein Silicon Sentier parisien, un espace convivial abrite une vingtaine de jeunes créatifs, 27 ans de moyenne d’âge. « Yellow vise à importer la culture du marketing et de l’expérience client dans l’ADN de La Poste », résume Jérôme Toucheboeuf, directeur de l’innovation et du big data. « On travaille en innovation ouverte, explique Philippe Mihelic. Chaque projet mobilise une petite équipe pluridisciplinaire, pendant quatre mois maximum, pour sortir un “POC”. » Comprenez : une « preuve de concept ». C’est ici que sont nés la tirelire connectée Monimalz coconçue avec La Banque postale ou l’appareil de stockage et d’affichage de photos Lumi.
La Poste se mue ainsi en laboratoire géant, qui teste en permanence, à petite échelle, des dizaines de concepts inédits : l’assistant conversationnel George, la tablette simplifiée pour senior Ardoiz, le service de garde d’animaux domestiques AniWeedoo, l’envoi de colis dans le futur – à un, cinq ou dix ans – de Box Temporis… S’ils convainquent les usagers, ces services seront ensuite déployés à l’échelle nationale.
Le groupe affiche cette volonté « disruptive », lors de grands événements-vitrines. Son Lab postal 2017, programmé les 22 et 23 février au siège du 15e arrondissement, planchera sur le thème : « A quoi ressemblerait le paysage économique français en 2020, si les entreprises changeaient dès aujourd’hui leur schéma de pensée? »
Plus étonnant : depuis trois ans, la poste française est la seule au monde à exposer au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, la Mecque mondiale de l’innovation numérique. « Je suis toujours partante pour représenter l’entreprise et défendre
son image », nous y expliquait début janvier Carine Royer, 46 ans, factrice à Bretenoux (Lot). Avec cinq de ses collègues, elle y présentait les innovations maison, aussi bien aux visiteurs anglophones qu’aux journalistes et politiques français : Sapin, Le Maire, Fillon, Wauquiez, NKM…
SERVICES DE PROXIMITÉ
Le clou du stand de Vegas, cette année, était la démonstration du hub labellisé « french IoT » (internet of things). Il s’agit d’une plateforme numérique unique, où La Poste fédère les objets et services connectés, conçus par de grands partenaires qui embarquent eux-mêmes une quinzaine de start-up satellites. En l’occurrence, on y parlait domotique avancée avec LegrandNetatmo, bâtiments intelligents avec BNP Paribas Real Estate, gestion des relations humaines et santé avec Malakoff Médéric, services aux entreprises avec Derichebourg. A ce jour, 40 marques et 70 produits sont compatibles avec le hub numérique de La Poste. Le concept séduit parce qu’on n’enferme pas les gens dans un écosystème, explique Nathalie Collin : « Neutre et ouverte à tous, l’infrastructure numérique de La Poste permet à nos partenaires de créer en 30 minutes de nouveaux services connectés, et de les diffuser en toute sécurité. »
Cet « internet des objets » n’est qu’un des nouveaux terrains de jeu du groupe. Comme le prouve l’achat récent de la société Axeo, la véritable ambition de La Poste est de devenir « le premier groupe de services de proximité du pays », et de proposer, sur tout le territoire, une gamme complète de services à des prix abordables pour les particuliers (gardiennage, jardinage, etc.), comme les entreprises (mobilité douce, recyclage).
L’enjeu économique est de taille : « Il faut aller chercher 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2020, pour compenser intégralement la baisse du chiffre d’affaires courrier », résume Philippe Dorge, patron de la branche services-courrier-colis. Le service « Veiller sur mes parents » n’est ainsi que la première brique de la stratégie du groupe dans la silver economy. 78% des Français se sentent déjà concernés par la dépendance d’une personne âgée ou d’un proche. Or ils habitent en moyenne à 230 kilomètres du senior qu’ils soutiennent. En France, le nombre de nonagénaires devrait passer de 300 000 en 2013… à 1 million en 2030 ! Pour assurer leur maintien au domicile, La Poste annoncera, en avril, une nouvelle acquisition importante.
COFFRE-FORT NUMÉRIQUE
Autre grand axe de développement : le rôle de tiers de confiance de l’ère numérique. « En partenariat avec l’Education nationale, tous les bacheliers de 2017 auront la possibilité de conserver leur diplôme certifié dans le coffre-fort numérique de La Poste », explique Philippe Wahl. Des accords semblables ont été passés avec l’Ecole polytechnique, avec l’université de Grenoble… 1,6 million d’usagers ont déjà ouvert un compte sur ce service appelé Digiposte, qui propose de centraliser, organiser, archiver et partager leurs documents personnels de manière sécurisée. Le service de base est gratuit, La Poste se rémunérant sur des offres premium.
Aujourd’hui, ce coffre-fort virtuel peut conserver vos diplômes et vos factures de téléphone, d’électricité ou de gaz. Bientôt, il collectera vos e-bulletins de salaire. Demain, il pourrait devenir le garant de votre identité numérique – physiquement authentifiée par le facteur – auprès de diverses administrations. Par exemple pour l’établissement de cartes d’identité, passeports, permis de séjour, permis de conduire… Et – pourquoi pas ? – s’imposer comme le gardien de votre futur e-dossier médical.
A mesure que notre paperasse se dématérialise, il faudra en effet trouver un moyen sûr de la conserver. Or, face à des start-up mortelles ou à de gros concurrents américains, « La Poste peut tenir la triple promesse de neutralité, de secret et de pérennité », fait valoir Philippe Wahl. Le groupe réussira-t-il sa révolution copernicienne? Il dispose en tout cas d’un atout maître : les Français préfèrent naturellement leur facteur à… leur banquier, leur assureur, ou même sans doute à Google ! Le grand défi de La Poste est d’arriver à transposer cette confiance dans le monde numérique.