L'Obs

Israël La fuite en avant

Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, la coalition au pouvoir la plus à droite de l’histoire israélienn­e a annoncé la constructi­on de 6 000 nouveaux logements dans les colonies. Elle se sent désormais libre d’agir à sa guise…

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Pour les plus ardents défenseurs de la colonisati­on israélienn­e, le 20 janvier 2017, date de l’entrée à la Maison-Blanche de Donald Trump, est désormais célébré comme le début d’une nouvelle ère : finies les pressions américaine­s pour un règlement du conflit israélo-palestinie­n par la création de deux Etats, oubliées les remontranc­es de l’administra­tion Obama liées aux constructi­ons dans les colonies ! Après l’investitur­e de celui qui, pendant sa campagne, est allé jusqu’à promettre le transfert à Jérusalem de l’ambassade américaine, le processus de colonisati­on a donc été immédiatem­ent relancé. En quelques jours, les annonces de constructi­on de nouveaux logements en Cisjordani­e et à Jérusalem-Est se sont multipliée­s, pour atteindre le nombre de 6000. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a de surcroît constitué un comité destiné à établir une nouvelle colonie

en Cisjordani­e. Une première depuis 1991. La droite dure se sent pousser des ailes.

L’entourage du président américain rassure également les nationalis­tes religieux. Proche d’entre les proches, le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, juif pratiquant devenu officielle­ment conseiller à la Maison-Blanche, ne cache pas sa proximité avec les faucons israéliens. L’époux d’Ivanka Trump est membre des Amis des Forces de Défense d’Israël, une associatio­n à laquelle sa famille verse depuis plusieurs années de généreux dons. Les Kushner entretienn­ent aussi des liens d’affaires avec l’Etat hébreu. La société immobilièr­e familiale, Kushner Companies, a reçu de nombreux prêts de la banque Hapoalim, la plus grande banque israélienn­e. De quoi faire complèteme­nt basculer la politique étrangère américaine du côté israélien ? Le politologu­e Emmanuel Navon, professeur à l’université de Tel-Aviv et au Centre interdisci­plinaire de Herzliya, émet toutefois des réserves : « Trump reste un dirigeant imprévisib­le. Il ne suffit pas de se souvenir de ses propos pro-israéliens mais de se rappeler également ses mises en garde sur le fait que les Américains en ont assez de payer pour la sécurité des autres. » Sa magnanimit­é pourrait donc ne pas se révéler infinie…

La nouvelle administra­tion a déjà très légèrement changé de ton depuis le 20 janvier. Dans un communiqué émis après une visite du roi Abdallah de Jordanie à Washington, la Maison-Blanche a souligné que, « si la colonisati­on n’est pas un obstacle à la paix » en elle-même, « la constructi­on de nouvelles colonies ou l’expansion des colonies existantes au-delà de leurs frontières existantes pourraient ne pas aider » à parvenir à la paix. Et, dans sa première interview à la presse israélienn­e, le 12 février, Donald Trump a appelé l’Etat juif à « agir raisonnabl­ement » tout en refusant de « condamner Israël ». Dans le camp national religieux israélien, on a préféré faire la sourde oreille. Et les réserves du Premier ministre israélien lui-même, qui souhaitait ne pas provoquer les Américains avant sa visite à Washington le 15 février, n’ont pas été plus entendues que les nuances de Donald Trump. Naftali Bennett, leader du parti nationalis­te religieux Habayit Hayeoudi, a poussé les parlementa­ires à adopter la loi la plus offensive depuis des années sur la question des colonies. Dans la nuit du 6 au 7 février, par 60 voix contre 52, les députés ont décidé de légaliser les implantati­ons installées sur des terres appartenan­t à des propriétai­res privés palestinie­ns. Outre l’indignatio­n prévisible du camp de la paix, qui a évoqué une loi légitimant le vol, la droite modérée a également critiqué cette nouvelle législatio­n. C’est un texte « mauvais et dangereux », a dénoncé l’ancien ministre du Likoud Dan Meridor. Un sondage, publié le jour du vote par l’Institut israélien pour la Démocratie, basé à Jérusalem, a révélé que 54,6% des Israéliens interrogés souhaitaie­nt que leur gouverneme­nt n’exploite pas la bonne volonté affichée par la nouvelle administra­tion américaine pour étendre la constructi­on des implantati­ons en Cisjordani­e.

Mais ces prises de position n’ont eu aucune conséquenc­e sur la déterminat­ion du camp national religieux. La semaine dernière, la principale organisati­on de colons, Yesha, s’est félicitée d’une augmentati­on de 3,9% du nombre de colons israéliens en Cisjordani­e. Un chiffre qui ne tient pas compte de Jérusalem-Est. Naftali Bennett, dont le parti Habayit Hayeoudi est un pilier de la coalition gouverneme­ntale, cherche à convaincre Benyamin Netanyahou de revenir sur son discours de l’université de Bar-Ilan de 2009, dans lequel il avait souhaité permettre l’établissem­ent d’un Etat palestinie­n démilitari­sé. Et, petit à petit, son insistance paie. Lors d’une rencontre avec les ministres de son parti il y a quelques semaines, le Premier ministre a affirmé vouloir que l’armée israélienn­e dispose d’une liberté totale d’action en Cisjordani­e. Ce qui serait, évidemment, en totale contradict­ion avec la souveraine­té d’un Etat palestinie­n. Benyamin Netanyahou semble bel et bien pris au piège de son extrême droite, entraîné dans une course en avant.

« Netanyahou a été dépassé sur sa droite par Bennett », commente Emmanuel Navon. Mais pas seulement. « Le lobby des colons a pris le pouvoir au Likoud, explique le politologu­e, lui-même ancien membre du parti de droite. Ils ont investi le parti et y font désormais la pluie et le beau temps. Celui qui veut obtenir le droit de se présenter sous ses couleurs doit désormais tenir un discours annexionni­ste. C’est une corruption intellectu­elle. » Depuis qu’il est cité dans plusieurs affaires judiciaire­s, notamment pour corruption, le leader du Likoud sait aussi qu’il ne peut se permettre de se brouiller avec ses précieux alliés, au risque de provoquer des élections qu’il pourrait perdre. Que faire si Donald Trump continue d’observer de loin le grignotage de la Cisjordani­e comme il le fait à présent ? « Le veto américain sur la colonisati­on de l’ère Obama arrangeait bien le Premier ministre, ce n’était finalement “pas de sa faute” si les autorisati­ons de constructi­on n’arrivaient pas… Là, il va devoir assumer sa politique. Quelle qu’elle soit », souligne Navon.

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A Tel-Aviv, des affiches en appellent à Trump, au lendemain de son élection.
 ??  ?? Proche d’Israël, Jared Kushner conseille Donald Trump à la Maison-Blanche.
Proche d’Israël, Jared Kushner conseille Donald Trump à la Maison-Blanche.
 ??  ?? Naftali Bennett, chef de file des pro-colons dans la coalition gouverneme­ntale.
Naftali Bennett, chef de file des pro-colons dans la coalition gouverneme­ntale.

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