Son programme au banc d’essai
Chemin faisant, le candidat d'En Marche ! a déjà dévoilé plus d’une centaine de propositions. En attendant le chiffrage précis du “contrat” qu’il veut proposer aux Français, ses mesures les plus emblématiques ont été soumises à l’évaluation de plusieurs e
En matière économique et sociale, « la première des batailles » selon lui, Emmanuel Macron se présente comme le grand dynamiteur-protecteur, qui saura marier modernisme et progrès social, comme ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses. Les recettes qu’il avance, qui seront chiffrées le 22 février et complétées le 2 mars, s’inscrivent dans la ligne engagée par François Hollande.
Son diagnostic général est on ne peut plus classique : la France est un pays dont les blocages freinent le dynamisme naturel. Il propose donc d’alléger les rigidités réglementaires inutiles, de favoriser « l’égalité des chances » (d’où son insistance sur la formation), la prise de risque (et pas la « rente »), les changements de situation (et pas les situations acquises), l’investissement public (et pas les dépenses courantes). Il entend aider les « outsiders » du système (les précaires, les indépendants, les entrepreneurs…) plutôt que les « insiders » (les fonctionnaires et les salariés protégés).
Le programme qui se dessine est-il social, libéral, efficace ? Nous avons demandé à trois experts d’horizons différents de le commenter : Patrick Artus, chef économiste de Natixis, coauteur de l’ouvrage « Euro. Par ici la sortie ? » avec Marie-Paule Virard (Fayard) ; la très libérale Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFRAP, auteur de « Ce que doit faire le (prochain) président » (Albin Michel), et Thomas Porcher, professeur à la Paris School of Business, coauteur d’« Introduction inquiète à la Macron-économie » (les Petits Matins), proche des Verts.
DOPER LA COMPÉTITIVITÉ
Le candidat veut améliorer le financement des entreprises et – surtout – réduire le coût du travail. Le CICE, mesure phare des années Hollande en faveur des entreprises, sera transformé en allégement durable des cotisations patronales (6 points pour les salaires jusqu’à 2,5 fois le smic). Côté salariés, les cotisations chômage et maladie (3,1% du salaire) seraient remplacées par une augmentation de la CSG de 1,7 point.
L’autre grande mesure sera un encouragement à investir. Pour aider les jeunes entreprises à trouver plus facilement des capitaux, les règles d’investissement de l’assurance-vie ou des fonds de retraite seront assouplies. Pour aider les PME, le paiement des factures sera plus sévèrement contrôlé et raccourci.
L’avis de Thomas Porcher « Macron défend l’idée, fausse, selon laquelle les difficultés économiques viendraient d’un marché du travail trop rigide et d’un coût du travail trop élevé. La France n’a cessé en vain d’augmenter la flexibilité du travail depuis trente ans. Avec quels résultats ? Le problème de la compétitivité française réside plus dans des facteurs qualitatifs comme la qualité de notre spécialisation que dans l’avantage prix. »
L’avis de Patrick Artus « Il y a un grand trou dans ses propositions : comment on réorganise l’Etat ? Il y a d’énormes gains de productivité à y faire. Sur la compétitivité, ce qu’il propose
ne mange pas de pain, mais n’est pas à la hauteur du défi. Le problème terrifiant, c’est qu’il existe un pays dans la zone euro qui produit des biens dans les mêmes niveaux de gamme que nous mais qui est 20 % moins cher : l’Espagne. Il faut donc aller plus loin dans la baisse des impôts des entreprises. » L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Transformer le CICE en baisse de charges est une bonne idée mais ne suffira pas. Il va falloir baisser beaucoup plus la pression fiscale sur nos entreprises. Quant à la baisse des cotisations salariales, elle est 100% électoraliste car les employeurs paient en France 75% des charges et les salariés 25%. Il faudrait au contraire, comme c’est le cas chez nos voisins, rééquilibrer le poids des charges avec un objectif de parité. »
“LIBÉRER” LES ENTREPRISES
Le mal de l’économie française vient, selon Emmanuel Macron, de réglementations excessives, qui freinent l’initiative, la mobilité, la prise de risque. Il entend transformer la mission des agents de l’Urssaf : au lieu de se borner à contrôler et sanctionner, ils auraient un rôle de conseil. Il évoque également un « droit à l’erreur » pour les patrons de PME qui, de bonne foi, n’auraient pas respecté certaines règles. Il propose enfin de plafonner les indemnités accordées par les prud’hommes.
Surtout, il entend introduire de la flexibilité dans le travail tout en maintenant les 35 heures. La solution ? Assouplir le régime des heures supplémentaires, et permettre aux entreprises de négocier par branche des aménagements d’horaires. De même, il entend augmenter le gain du passage d’un RSA à un travail faiblement rémunéré en augmentant la prime d’activité de 50%, soit « en gros 100 euros supplémentaires » pour une personne au smic (coût de la mesure : 2,1 milliards). Enfin, il veut favoriser les passerelles d’un métier à un autre. Ce qui passe par la formation continue tout au long de la vie et (voir plus loin) par une réforme de l’assurance chômage.
L’avis de Thomas Porcher « Emmanuel Macron a tort de réduire le problème du chômage de masse français a une question d’incitation individuelle (prime d’activité, plafond sur les indemnités prud’homales…). Alors qu’il s’explique en grande partie par des politiques économiques mal calibrées, dont il est coresponsable. A partir de 2011, la volonté de réduire trop rapidement les déficits a sapé la reprise. »
L’avis de Patrick Artus « Tout cela va dans le bon sens, notamment la hausse de la prime d’activité. Trois bémols : l’indemnité de chômage pour les personnes qui donnent leur démission est à mon sens inutile. Il faut aller bien plus loin sur la formation professionnelle. Par ailleurs, c’est bien de décentraliser les négociations salariales, mais avec un taux de syndicalisation de 7% dans le privé, comment fait-on ? » L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Transformer l’administration de contrôle en administration de conseil est essentiel. Ne pas toucher aux désastreuses 35 heures est une erreur. Le plafonnement des indemnités est une bonne mesure pour sécuriser les employeurs sur les risques juridiques. Par contre, l’extension de l’allocation chômage aux indépendants et aux démissionnaires pose la question de son financement. L’augmentation de la prime d’activité manque son sujet : il faut fusionner les minima sociaux pour en rendre la gestion beaucoup plus transparente et aisée, tout en limitant les non-recours. »
RÉFORMER LA PROTECTION SOCIALE
Selon Emmanuel Macron, le droit aux allocations chômage doit être universel, pour fluidifier le marché du travail. Tout salarié qui démissionne ou, après cinq ans d’activité, tout indépendant ou chef d’entreprise devrait pouvoir lui aussi les percevoir. En contrepartie, le demandeur d’emploi ne pourra pas refuser une offre correspondant à ses compétences et le plafond des indemnités serait abaissé : il est aujourd’hui de 6500 euros net, plus de deux fois plus qu’en Allemagne. Emmanuel Macron propose que l’Etat « prenne ses responsabilités et gère lui-même l’Unédic », se substituant au système paritaire actuel. Enfin, il réfléchit à un système de « bonus-malus » pour favoriser les entreprises qui pèsent peu sur l’assurance chômage : celles qui ne jonglent pas avec les contrats courts, par exemple.
Pour les retraites, il penche pour un système par points, qui refléterait mieux la réalité du travail effectué tout au long de la vie. Les départs se feraient « à 60 ans, à 65 ans ou à 67 ans », en fonction des individus, des métiers, des situations.
Pour ce qui est de la santé, la prévention est mise en avant. Et la Sécu rembourserait l’intégralité des soins optiques, dentaires et auditifs (coût : 4,4 milliards).
L’avis de Thomas Porcher « La retraite par points valide l’idée que la retraite serait une forme d’épargne. Ce système profiterait plus aux cadres qu’aux ouvriers. Il a été appliqué en Suède et a abouti à une baisse des pensions. L’augmentation des budgets de prévention et l’extension de la couverture maladie sont une bonne chose. »
L’avis de Patrick Artus « La retraite par points, c’est très bien, elle va favoriser les gens qui passent d’un boulot à un autre, d’un régime à un autre. La remise en cause du paritarisme dans l’assurance chômage est une bonne idée. Je me méfie du système des bonus-malus, car les contrats courts sont une façon d’éviter la rigidité des contrats longs. Si vous les sanctionnez, le risque est de multiplier les auto-entrepreneurs, d’ubériser tout le monde. »
L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « La retraite par points : bonne proposition. Mais que fera-t-il des 37 régimes de retraites ? Mystère. Augmenter les budgets de prévention en santé est une évidence. Mais sans changer l’organisation du système, sans ouvrir les données de santé, les dépenses supplémentaires en prévention resteront un leurre. »
FISCALITÉ : DISSUADER LA RENTE
L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne sera pas supprimé, mais il ne portera que sur l’immobilier, source de « rente », et plus sur la détention d’actions qui « finance l’économie réelle ». L’ISF se rapprocherait ainsi de la taxe foncière. L’abattement sur la résidence principale et sur les oeuvres d’art serait maintenu. Par ailleurs, dans le même esprit, il entend favoriser l’épargne investie en actions.
L’avis de Thomas Porcher « En exonérant d’ISF les détenteurs d’actifs financiers, Emmanuel Macron fait un cadeau fiscal énorme aux plus riches ayant des fortunes dépassant les 10 millions d’euros. »
L’avis de Patrick Artus « Dissuader la rente, pousser à investir en actions, est une excellente idée. Cela peut aider à faire baisser les prix de l’immobilier et donc les loyers. Mais cela entre en contradiction avec le projet de baisser les cotisations sociales salariales pour les remplacer par de la CSG, qui porte aussi sur les revenus du capital, déjà trop taxés en France. »
L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Le candidat reste entre deux eaux : suppression de la taxation des biens mobiliers mais pas des biens immobiliers. Continuer de frapper l’immobilier, secteur par ailleurs déjà le plus taxé du capital, va à l’encontre des politiques du logement et de la construction. »
RELANCER L’OFFRE DE LOGEMENTS
Comment réguler le prix des logements ? En construisant plus là où la demande est forte. L’Etat aidera les maires à trouver plus de terrains constructibles. Pour aller plus loin, les 18 milliards d’aides diverses à l’habitat seraient repensées pour cibler la construction. Macron estime que l’aide personnalisée au logement (APL) a eu un effet inflationniste sur les loyers, sans stimuler l’offre.
Par ailleurs, Emmanuel Macron entend maintenir la mixité des quartiers, et trouver des solutions pour les salariés sans CDI : il veut créer des « baux précaires » d’un an et encourager la gestion de logements par des associations. Les logements sociaux disponibles seraient plus faciles à trouver, grâce à une nouvelle plateforme numérique. L’encadrement des loyers – effectif à Paris ou à Lille – serait maintenu.
L’avis de Thomas Porcher « Il faut aller à la source du problème en régulant mieux le marché, en taxant plus les rentes immobilières et en développant le parc social. »
L’avis de Patrick Artus « En France, on n’a fait que soutenir la demande (aides personnalisées au logement, prêts à taux zéro…) mais comme il y a peu d’offre, cela n’aboutit qu’à une hausse des prix. Il faut donc soutenir l’offre. Pour construire plus dans les zones tendues, il faudrait que l’Etat reprenne la main sur le foncier pour le libérer : les maires rechignent trop à délivrer des permis de construire. »
L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Déjà 18% des logements en France sont des logements sociaux donc financés en grande partie par la puissance publique. Aller plus loin déstabiliserait encore plus le marché. Sur le logement, la première mesure à prendre est la suppression de l’obligation de la construction de 25% de logements sociaux de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains)…”
MUSCLER LA ZONE EURO
Emmanuel Macron propose de refonder l’Union européenne. Il défend la vieille idée d’un « gouvernement économique européen » doté de son propre budget, qui veillerait à éviter la divergence des économies. La zone euro pourrait lever des emprunts.
L’avis de Thomas Porcher « L’idée peut paraître séduisante mais tout dépend du montant du budget commun et de sa fonction. Idem pour le plan de relance. Pour être efficace, il faut une relance importante et qu’elle soit orientée vers des secteurs d’avenir. »
L’avis de Patrick Artus « Ce serait bien d’avoir un budget commun de la zone euro, sauf qu’on ne l’aura pas. Les Allemands sont contre. La relance de l’investissement européen, c’est du pipeau : les gens qui gèrent le plan Juncker pour l’investissement n’arrivent même pas à dépenser l’argent prévu. »
L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « La création d’un budget commun de la zone euro est une chimère dans la situation actuelle de nos finances publiques. Attention à ne pas céder à la facilité de la dette publique européenne et de l’impôt européen. Le plan de relance de l’investissement européen existe d’ailleurs déjà, c’est le plan Juncker… qui n’a pas vraiment fait ses preuves. »