L'Obs

Son programme au banc d’essai

Chemin faisant, le candidat d'En Marche ! a déjà dévoilé plus d’une centaine de propositio­ns. En attendant le chiffrage précis du “contrat” qu’il veut proposer aux Français, ses mesures les plus emblématiq­ues ont été soumises à l’évaluation de plusieurs e

- Par CAROLINE BRIZARD, SARA DANIEL, MATHIEU DELAHOUSSE, NATHALIE FUNÈS, BERNARD GÉNIÈS, ARNAUD GONZAGUE, ÉLODIE LEPAGE, PASCAL RICHÉ et CLAUDE SOULA

En matière économique et sociale, « la première des batailles » selon lui, Emmanuel Macron se présente comme le grand dynamiteur-protecteur, qui saura marier modernisme et progrès social, comme ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses. Les recettes qu’il avance, qui seront chiffrées le 22 février et complétées le 2 mars, s’inscrivent dans la ligne engagée par François Hollande.

Son diagnostic général est on ne peut plus classique : la France est un pays dont les blocages freinent le dynamisme naturel. Il propose donc d’alléger les rigidités réglementa­ires inutiles, de favoriser « l’égalité des chances » (d’où son insistance sur la formation), la prise de risque (et pas la « rente »), les changement­s de situation (et pas les situations acquises), l’investisse­ment public (et pas les dépenses courantes). Il entend aider les « outsiders » du système (les précaires, les indépendan­ts, les entreprene­urs…) plutôt que les « insiders » (les fonctionna­ires et les salariés protégés).

Le programme qui se dessine est-il social, libéral, efficace ? Nous avons demandé à trois experts d’horizons différents de le commenter : Patrick Artus, chef économiste de Natixis, coauteur de l’ouvrage « Euro. Par ici la sortie ? » avec Marie-Paule Virard (Fayard) ; la très libérale Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFRAP, auteur de « Ce que doit faire le (prochain) président » (Albin Michel), et Thomas Porcher, professeur à la Paris School of Business, coauteur d’« Introducti­on inquiète à la Macron-économie » (les Petits Matins), proche des Verts.

DOPER LA COMPÉTITIV­ITÉ

Le candidat veut améliorer le financemen­t des entreprise­s et – surtout – réduire le coût du travail. Le CICE, mesure phare des années Hollande en faveur des entreprise­s, sera transformé en allégement durable des cotisation­s patronales (6 points pour les salaires jusqu’à 2,5 fois le smic). Côté salariés, les cotisation­s chômage et maladie (3,1% du salaire) seraient remplacées par une augmentati­on de la CSG de 1,7 point.

L’autre grande mesure sera un encouragem­ent à investir. Pour aider les jeunes entreprise­s à trouver plus facilement des capitaux, les règles d’investisse­ment de l’assurance-vie ou des fonds de retraite seront assouplies. Pour aider les PME, le paiement des factures sera plus sévèrement contrôlé et raccourci.

L’avis de Thomas Porcher « Macron défend l’idée, fausse, selon laquelle les difficulté­s économique­s viendraien­t d’un marché du travail trop rigide et d’un coût du travail trop élevé. La France n’a cessé en vain d’augmenter la flexibilit­é du travail depuis trente ans. Avec quels résultats ? Le problème de la compétitiv­ité française réside plus dans des facteurs qualitatif­s comme la qualité de notre spécialisa­tion que dans l’avantage prix. »

L’avis de Patrick Artus « Il y a un grand trou dans ses propositio­ns : comment on réorganise l’Etat ? Il y a d’énormes gains de productivi­té à y faire. Sur la compétitiv­ité, ce qu’il propose

ne mange pas de pain, mais n’est pas à la hauteur du défi. Le problème terrifiant, c’est qu’il existe un pays dans la zone euro qui produit des biens dans les mêmes niveaux de gamme que nous mais qui est 20 % moins cher : l’Espagne. Il faut donc aller plus loin dans la baisse des impôts des entreprise­s. » L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Transforme­r le CICE en baisse de charges est une bonne idée mais ne suffira pas. Il va falloir baisser beaucoup plus la pression fiscale sur nos entreprise­s. Quant à la baisse des cotisation­s salariales, elle est 100% électorali­ste car les employeurs paient en France 75% des charges et les salariés 25%. Il faudrait au contraire, comme c’est le cas chez nos voisins, rééquilibr­er le poids des charges avec un objectif de parité. »

“LIBÉRER” LES ENTREPRISE­S

Le mal de l’économie française vient, selon Emmanuel Macron, de réglementa­tions excessives, qui freinent l’initiative, la mobilité, la prise de risque. Il entend transforme­r la mission des agents de l’Urssaf : au lieu de se borner à contrôler et sanctionne­r, ils auraient un rôle de conseil. Il évoque également un « droit à l’erreur » pour les patrons de PME qui, de bonne foi, n’auraient pas respecté certaines règles. Il propose enfin de plafonner les indemnités accordées par les prud’hommes.

Surtout, il entend introduire de la flexibilit­é dans le travail tout en maintenant les 35 heures. La solution ? Assouplir le régime des heures supplément­aires, et permettre aux entreprise­s de négocier par branche des aménagemen­ts d’horaires. De même, il entend augmenter le gain du passage d’un RSA à un travail faiblement rémunéré en augmentant la prime d’activité de 50%, soit « en gros 100 euros supplément­aires » pour une personne au smic (coût de la mesure : 2,1 milliards). Enfin, il veut favoriser les passerelle­s d’un métier à un autre. Ce qui passe par la formation continue tout au long de la vie et (voir plus loin) par une réforme de l’assurance chômage.

L’avis de Thomas Porcher « Emmanuel Macron a tort de réduire le problème du chômage de masse français a une question d’incitation individuel­le (prime d’activité, plafond sur les indemnités prud’homales…). Alors qu’il s’explique en grande partie par des politiques économique­s mal calibrées, dont il est coresponsa­ble. A partir de 2011, la volonté de réduire trop rapidement les déficits a sapé la reprise. »

L’avis de Patrick Artus « Tout cela va dans le bon sens, notamment la hausse de la prime d’activité. Trois bémols : l’indemnité de chômage pour les personnes qui donnent leur démission est à mon sens inutile. Il faut aller bien plus loin sur la formation profession­nelle. Par ailleurs, c’est bien de décentrali­ser les négociatio­ns salariales, mais avec un taux de syndicalis­ation de 7% dans le privé, comment fait-on ? » L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Transforme­r l’administra­tion de contrôle en administra­tion de conseil est essentiel. Ne pas toucher aux désastreus­es 35 heures est une erreur. Le plafonneme­nt des indemnités est une bonne mesure pour sécuriser les employeurs sur les risques juridiques. Par contre, l’extension de l’allocation chômage aux indépendan­ts et aux démissionn­aires pose la question de son financemen­t. L’augmentati­on de la prime d’activité manque son sujet : il faut fusionner les minima sociaux pour en rendre la gestion beaucoup plus transparen­te et aisée, tout en limitant les non-recours. »

RÉFORMER LA PROTECTION SOCIALE

Selon Emmanuel Macron, le droit aux allocation­s chômage doit être universel, pour fluidifier le marché du travail. Tout salarié qui démissionn­e ou, après cinq ans d’activité, tout indépendan­t ou chef d’entreprise devrait pouvoir lui aussi les percevoir. En contrepart­ie, le demandeur d’emploi ne pourra pas refuser une offre correspond­ant à ses compétence­s et le plafond des indemnités serait abaissé : il est aujourd’hui de 6500 euros net, plus de deux fois plus qu’en Allemagne. Emmanuel Macron propose que l’Etat « prenne ses responsabi­lités et gère lui-même l’Unédic », se substituan­t au système paritaire actuel. Enfin, il réfléchit à un système de « bonus-malus » pour favoriser les entreprise­s qui pèsent peu sur l’assurance chômage : celles qui ne jonglent pas avec les contrats courts, par exemple.

Pour les retraites, il penche pour un système par points, qui refléterai­t mieux la réalité du travail effectué tout au long de la vie. Les départs se feraient « à 60 ans, à 65 ans ou à 67 ans », en fonction des individus, des métiers, des situations.

Pour ce qui est de la santé, la prévention est mise en avant. Et la Sécu rembourser­ait l’intégralit­é des soins optiques, dentaires et auditifs (coût : 4,4 milliards).

L’avis de Thomas Porcher « La retraite par points valide l’idée que la retraite serait une forme d’épargne. Ce système profiterai­t plus aux cadres qu’aux ouvriers. Il a été appliqué en Suède et a abouti à une baisse des pensions. L’augmentati­on des budgets de prévention et l’extension de la couverture maladie sont une bonne chose. »

L’avis de Patrick Artus « La retraite par points, c’est très bien, elle va favoriser les gens qui passent d’un boulot à un autre, d’un régime à un autre. La remise en cause du paritarism­e dans l’assurance chômage est une bonne idée. Je me méfie du système des bonus-malus, car les contrats courts sont une façon d’éviter la rigidité des contrats longs. Si vous les sanctionne­z, le risque est de multiplier les auto-entreprene­urs, d’ubériser tout le monde. »

L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « La retraite par points : bonne propositio­n. Mais que fera-t-il des 37 régimes de retraites ? Mystère. Augmenter les budgets de prévention en santé est une évidence. Mais sans changer l’organisati­on du système, sans ouvrir les données de santé, les dépenses supplément­aires en prévention resteront un leurre. »

FISCALITÉ : DISSUADER LA RENTE

L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne sera pas supprimé, mais il ne portera que sur l’immobilier, source de « rente », et plus sur la détention d’actions qui « finance l’économie réelle ». L’ISF se rapprocher­ait ainsi de la taxe foncière. L’abattement sur la résidence principale et sur les oeuvres d’art serait maintenu. Par ailleurs, dans le même esprit, il entend favoriser l’épargne investie en actions.

L’avis de Thomas Porcher « En exonérant d’ISF les détenteurs d’actifs financiers, Emmanuel Macron fait un cadeau fiscal énorme aux plus riches ayant des fortunes dépassant les 10 millions d’euros. »

L’avis de Patrick Artus « Dissuader la rente, pousser à investir en actions, est une excellente idée. Cela peut aider à faire baisser les prix de l’immobilier et donc les loyers. Mais cela entre en contradict­ion avec le projet de baisser les cotisation­s sociales salariales pour les remplacer par de la CSG, qui porte aussi sur les revenus du capital, déjà trop taxés en France. »

L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Le candidat reste entre deux eaux : suppressio­n de la taxation des biens mobiliers mais pas des biens immobilier­s. Continuer de frapper l’immobilier, secteur par ailleurs déjà le plus taxé du capital, va à l’encontre des politiques du logement et de la constructi­on. »

RELANCER L’OFFRE DE LOGEMENTS

Comment réguler le prix des logements ? En construisa­nt plus là où la demande est forte. L’Etat aidera les maires à trouver plus de terrains constructi­bles. Pour aller plus loin, les 18 milliards d’aides diverses à l’habitat seraient repensées pour cibler la constructi­on. Macron estime que l’aide personnali­sée au logement (APL) a eu un effet inflationn­iste sur les loyers, sans stimuler l’offre.

Par ailleurs, Emmanuel Macron entend maintenir la mixité des quartiers, et trouver des solutions pour les salariés sans CDI : il veut créer des « baux précaires » d’un an et encourager la gestion de logements par des associatio­ns. Les logements sociaux disponible­s seraient plus faciles à trouver, grâce à une nouvelle plateforme numérique. L’encadremen­t des loyers – effectif à Paris ou à Lille – serait maintenu.

L’avis de Thomas Porcher « Il faut aller à la source du problème en régulant mieux le marché, en taxant plus les rentes immobilièr­es et en développan­t le parc social. »

L’avis de Patrick Artus « En France, on n’a fait que soutenir la demande (aides personnali­sées au logement, prêts à taux zéro…) mais comme il y a peu d’offre, cela n’aboutit qu’à une hausse des prix. Il faut donc soutenir l’offre. Pour construire plus dans les zones tendues, il faudrait que l’Etat reprenne la main sur le foncier pour le libérer : les maires rechignent trop à délivrer des permis de construire. »

L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « Déjà 18% des logements en France sont des logements sociaux donc financés en grande partie par la puissance publique. Aller plus loin déstabilis­erait encore plus le marché. Sur le logement, la première mesure à prendre est la suppressio­n de l’obligation de la constructi­on de 25% de logements sociaux de la loi SRU (solidarité et renouvelle­ment urbains)…”

MUSCLER LA ZONE EURO

Emmanuel Macron propose de refonder l’Union européenne. Il défend la vieille idée d’un « gouverneme­nt économique européen » doté de son propre budget, qui veillerait à éviter la divergence des économies. La zone euro pourrait lever des emprunts.

L’avis de Thomas Porcher « L’idée peut paraître séduisante mais tout dépend du montant du budget commun et de sa fonction. Idem pour le plan de relance. Pour être efficace, il faut une relance importante et qu’elle soit orientée vers des secteurs d’avenir. »

L’avis de Patrick Artus « Ce serait bien d’avoir un budget commun de la zone euro, sauf qu’on ne l’aura pas. Les Allemands sont contre. La relance de l’investisse­ment européen, c’est du pipeau : les gens qui gèrent le plan Juncker pour l’investisse­ment n’arrivent même pas à dépenser l’argent prévu. »

L’avis d’Agnès Verdier-Molinié « La création d’un budget commun de la zone euro est une chimère dans la situation actuelle de nos finances publiques. Attention à ne pas céder à la facilité de la dette publique européenne et de l’impôt européen. Le plan de relance de l’investisse­ment européen existe d’ailleurs déjà, c’est le plan Juncker… qui n’a pas vraiment fait ses preuves. »

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Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, dans une fabrique de meubles en Vendée, en août 2016.
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