L'Obs

“Penelope, elle n’y va pas, chez Lidl ! ”

Pendant quatre jours, notre reporter s’est installé sur le parking du supermarch­é discount à Brignoles, dans le Var. Entre colère et résignatio­n, rencontre avec des Français dégoûtés de la politique

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Le Lidl de Brignoles, défilé d’hommes et de femmes, d’inquiétude­s, de colères. Longtemps synonyme de hard discount, destiné aux plus modestes, Lidl a élargi son public : il arrive maintenant d’y rencontrer des clientes sac Vuitton à l’épaule. Dans la capitale du centre Var, l’enseigne est située le long de la route qui mène à l’A8. Une petite surface, où l’on se rend principale­ment en voiture. En déclin depuis la fermeture des mines de bauxite, il y a vingt-cinq ans, le canton de Brignoles incarne, aux yeux des géographes Christophe Guilluy et Laurent Chalard, « le prototype de l’espace périurbain subi ». En clair, une France peu diplômée, plutôt pauvre et sans industrie. Quatre jours durant, nous avons stationné sur le parking de ce Lidl. Nous avons parlé aux clients, parfois longuement. Tous, ils nous ont raconté une France repliée sur elle et sans repères : sentiment d’être délaissés, dégoût de la politique,

angoisse de tenir les budgets à la fin du mois, incompréhe­nsion de l’accueil réservé aux migrants. Une France qui a laissé ses centres-villes dépérir au profit d’ensembles commerciau­x gigantesqu­es, provoquant la disparitio­n de tout lieu d’échange, de dialogue. Une France où l’individu s’est rétréci à sa dimension de consommate­ur, sans mémoire ni engagement.

MERCREDI 25 JANVIER

“Brignoles, c’est devenu tellement moche. Tout ferme”

9 heures. Le magasin se présente sous forme d’un long rectangle, divisé en quatre allées. Au centre, un fourre-tout aménagé comme dans une braderie. Ce matin, on y trouve des robes noires à 8,99 euros, des bottines, des leggings ou des plaques à induction. Les clients font leurs courses avec applicatio­n, en prenant leur temps. Chuchoteme­nts qui se fondent dans le vrombissem­ent monotone des frigos.

11h15. Janine, 82 ans, venue pour les légumes, les bavettes d’aloyau et l’opération « Nouvel An chinois ». Une voix bienveilla­nte. « Je vais chez Lidl parce que : 1) C’est moins cher. Mon chariot est plein et j’en ai eu pour 60 euros. Chez Leclerc, j’en aurais eu pour le double ; 2) Les produits sont bons ; 3) Les caissières sont très aimables […] Dans le centre-ville, il n’y a plus grand-chose comme magasins. Les jeunes s’en vont. Même sur la place Carami, à 7 heures du soir, tout est fermé. C’est une plaque tournante de la drogue, j’ai vu ça à la télévision […]. Je ne m’intéresse pas à la politique. On se moque des gens ! Mon mari, il est mort un 9 décembre, il aurait dû toucher sa retraite de novembre, eh bien, je ne l’ai jamais reçue. 1200 euros! Au début, ils répondaien­t à mes courriers, maintenant ils ne prennent même plus la peine.[…] »

Midi. Jean-Paul et Esperanza. Lui, agronome, moustaches à l’anglaise. Elle, d’origine colombienn­e. Ils vivent à Carcès, à une quinzaine de kilomètres. « C’est la carte Bleue qui nous amène chez Lidl! […]. Brignoles, c’est devenu tellement moche. Tout ferme. Le JouéClub par exemple […]. Ils ont fait venir de nouvelles population­s, des Maghrébins. Il y a des plaintes, on dit qu’ils ont fait fuir les commerces. Au café, vous voyez des gens, ils passent leur matinée à boire des caouas. Et ils touchent des allocs. »

14 heures. En sortant, des clients s’arrêtent au seuil du magasin. Décortique­nt leur ticket de caisse, l’air studieux.

16 heures. Une caissière achemine une palette de bouteilles de lait. Jeunes femmes multitâche­s : elles courent, rangent, empilent les cartons vides dans des immenses chariots, renseignen­t les clients. « Bonjour! Comment il va l’Emile? – Et toi ? Dis, elles sont où les cacahouète­s, tu sais celles que je prends? »

18h30. Le Caddie de Morgane : café, petitssuis­ses, olives, poivron, miel, blanc de poulet, tomates, courgettes. Courses de célibatair­e. La jeune femme travaille dans une agence bancaire. « Les Brignolais manquent de savoir-vivre, ils parlent mal. C’est une clientèle pauvre, sans revenus profession­nels. Ça monte vite dans les aigus. Les gens ne sont pas instruits : quelqu’un qui ne reçoit pas ses APL, il va s’en prendre à nous. »

19 heures. Dehors, il tombe des trombes d’eau. Un vieux type qui sort : « C’est ça, Brignoles : l’humidité, le froid, le chaos. »

JEUDI 26 JANVIER

“Liberté, égalité, fraternité,

j’y crois plus” 8h26. Encore la pluie. Le rideau de fer se lève et des clients qui attendaien­t dans leur voiture se précipiten­t. La caissière fait la bise à deux d’entre eux. C’est la journée des promos sur l’électromén­ager. Le minifour est à 56,99 euros ; le robot mixeur, à 54,99 euros ; la perceuse-visseuse, à 39,99 euros.

8h40. Un petit homme, moustache blanche, pantalon qui lui arrive en haut des chevilles. Il est venu pour la perceuse. Refuse de dire son nom. « Il y a huit jours, ils vendaient 20 mètres de tuyau d’arrosage avec les embouts à moins de 8 euros. Je suis arrivé à 9h15, y en avait plus. Si vous êtes pas le premier, vous êtes attrapé! […] La politique, je veux pas en entendre parler! Tous des rapouilles, tous des condamnés! Regardez Fillon! Si on met des rapouilles à la tête de la France, alors où c’est qu’on va aller ? […] J’ai travaillé cinquante ans et je vis avec une miniretrai­te. Salopard d’Hollande qui nous a serré la gueule ! Tu gagnes quand même 10 euros de moins qu’il y a dix ans. Avec 10 euros, tu peux vivre huit ou dix jours. » […] Vous les journalist­es, vous êtes complices! Personne ne dit que les entreprise­s, elles réduisent les portions. Vous êtes pas ouvrier, vous savez pas ce que c’est le malheur de la vie ! »

9h30 . Deux femmes devant le rayon café. L’une dit : « Quand on vous dit que le pouvoir d’achat, ça augmente… La dernière fois, j’achète une boîte de café en promotion 2,49 euros au lieu de 2,69 euros. Je vais à la caisse. Ils me comptent 2,69 euros. Je dis : madame, c’est une promotion à 2,49. Ah oui madame, elle dit. Et regardez maintenant : 2,85 euros. De 2,49 euros à 2,85 euros! – Et ça va pas aller mieux, au contraire ! »

13h30. Deux adolescent­es, Oumaima et Anaïs, déjeunent près des chariots : « Le Lidl, c’est à côté du lycée. Un sandwich et des chips, on en a pour moins de 2 euros. Ça rivalise avec les kebabs […] Brignoles ? On a envie de partir parce qu’on est jeunes. Ici, c’est pour les petits vieux ! »

14h55. Jérémy et Jessica. Lui, en contrat à la mairie pour une formation de conducteur d’engin. Tête rasée et boucle d’oreille. Elle, agent d’entretien hospitalie­r, en congé parental. Lui : « Ce sont nos courses pour la semaine. On en a eu pour 130 euros. Le loyer payé, on vit à 5 avec 1 700 euros […] Faites le tour de la ville, c’est triste et dégradé. Ça vit pas, ça bouge pas. Regardez la gendarmeri­e [il montre une affreuse bâtisse lézardée, de l’autre côté de la route]. On aimerait bien partir. En Amérique, si on veut gagner de l’argent, on peut gagner de l’argent […]. Ici il y a beaucoup de délinquanc­e. Il y a deux ans, un type s’est retrouvé en chaise roulante parce qu’il n’avait pas donné une cigarette à quelqu’un […]. Les débats politiques, on les survole. Si je pouvais, je voterais pas, mais, comme je bosse à la mairie, je suis bien obligé. »

15h25. Chantal, jean, bottes et ciré rouge. Maquillée, de l’allure. « Je fais attention à mon budget, je suis devenue une miséreuse. Je travaillai­s dans un journal d’annonces légales. Un jour, mon patron a trouvé une fille plus jeune et il m’a virée. Je touche une retraite de 750 euros. Je n’ai pas choisi Brignoles, j’ai choisi un loyer que je pouvais payer : 350 euros pour 55 m2 et un plancher défoncé. Je rogne sur mes maigres économies. Je vais finir par vendre ma voiture. Et après, ce sera la rue, entre deux cartons. Heureuseme­nt, il me reste encore une solution. – Laquelle ? – Le suicide. Vous voyez, il y a des désespérés qui gardent le sourire. C’est la dernière des politesses. »

16h30. Un type avec une canadienne, bouteille d’alcool à la main, part sans payer. La caissière, une jeune femme blonde, le poursuit sur le parking. Elle lui ordonne de rendre ce qu’il a pris. « Oh, ça va! », marmonne le type qui accélère le pas. Impuissant­e, la jeune femme enrage. C’est le deuxième vol de la journée.

17 heures. A la caisse, conversati­on entre la jeune femme et sa collègue. « Ah, ça m’énerve, ça fait deux fois qu’on se fait “tchoupaga” et qu’on le laisse partir ! Le prochain, il est mort !

– Je me suis dit ça quand je t’ai vue revenir : le prochain, elle va le tuer.

– T’imagines dans “Var-matin” ? Une caissière excédée défonce un client… Enfin, quelqu’un qui vole, c’est pas un client, c’est un voleur. »

Les clients se mêlent à la discussion, y vont de leur opinion. Ça parle, ça échange, grâce à l’entrain des caissières.

18h50. Sur la voiture de Jean-Claude, le logo de sa salle de sport. « Les commerces, c’est les étrangers qui les ouvrent. Eux, ils ont des facilités. On vient pas les emmerder. Tandis que nous… De toute façon, “liberté, égalité, fraternité”, j’y crois plus. Aujourd’hui, on s’est fait manger par les franchises. Y a plus de sous. C’est dur de s’en sortir. Heureuseme­nt qu’il y a des Lidl ! »

19h15. Une femme aux cheveux gris, serretête et lunettes. Mère de cinq enfants et look BCBG. Elle refuse de donner son prénom. Installée il y a trois ans dans un village des environs. « Même si on gagnait moins d’argent, on vivait mieux en Normandie […] Je suis prof, mais je ne veux pas enseigner ici.Je ne me sens pas en sécurité. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de respect pour la parole des adultes […]. Pour les prochaines élections, je prie, mais sans illusions. Je fais attention à ne pas trop regarder les débats à la télévision, sinon c’est vraiment déprimant. »

VENDREDI 27 JANVIER

“Qu’est-ce qu’on en a à branler, que tu sois autoentrep­reneur ?” 8h30. Un homme et trois femmes, accoudés à leur Caddie, attendent le lever de rideau, comme des pilotes le départ d’une course. Une usine a fermé dans la région. « Je ne sais pas ce que ça va devenir », dit une femme. Une autre : « Ma nièce travaille aux Ciments français depuis vingt-sept ans. Ça a été racheté par les Allemands et là, ils vont tout fermer. Vingt-sept ans ! C’est dur ! »

8h45. Moustache et casquette, Firmin sort avec un carton d’invendus : aubergines, salade, courge, carottes, fenouil. Le tout pour 3 euros. « Si la salade, elle est pas bonne, je la donnerai à mes poules. » Firmin a 78 ans. Retraité de la SNCF. « La vie moderne, pour certains, ça peut correspond­re. Pour moi, ça me dépasse un peu. On ne se voit plus, on ne communique plus. Avant on passait à travers champs, aujourd’hui, on se cloître. L’argent, il en faut, mais quand on en a trop, ça monte à la tête […]. Celui qui va passer à la présidenti­elle, c’est le plus grand menteur. Un mensonge bien dit, c’est presque une vérité. Regardez M. Fillon ! »

10h20. Sandrine, infirmière à l’hôpital de Brignoles. « Plusieurs fois, l’hôpital a été menacé de fermeture, malgré le fait qu’il

soit le seul service d’urgences à 50 kilomètres. L’an passé, le personnel et la population se sont mobilisés […]. Ceux qui veulent supprimer des postes de fonctionna­ires disent qu’ils ne ciblent pas les flics, pas les militaires, pas les hospitalie­rs. Au final, ce sera bien quelqu’un. On est déjà en sous-effectif. »

10h45. Rocco, on le remarque à son look, foulard et béret en cuir. Et à son accent calabrais. « Avec la crise qu’il y a, Lidl, c’est le meilleur truc. L’autre jour, je suis allé à Intermarch­é. J’ai acheté un Coca et trois, quatre trucs. J’en ai eu pour 23 euros! Mais ils sont partis où, les 23 euros? C’est pas qu’on fait des excès. Avant, avec 200 balles, tu repartais les bras chargés. Maintenant, t’as plus rien! Quand on voit comment ils font avec l’argent public, le scandale de Fillon. A gauche, à droite, ils font tous pareil […] Je suis au RSA, j’ai 44 ans et je suis considéré comme un vieux. Alors j’ai fait ma propre entreprise. Je fabrique et je vends des bijoux. J’ai demandé un crédit, 500 ou 800 euros, pour acheter une table, un parasol. Le banquier, il m’a dit : “Qu’est-ce qu’on en a à branler, que tu sois autoentrep­reneur ?” »

11h15. Jérôme et Nathalie nous apportent le café dans un Thermos. Ils ont vécu à Paris, puis sont retournés vivre à Brignoles, où ils s’étaient rencontrés. Lui, fils de mineur, a monté un studio de musique en centre-ville. Elle, salariée dans une entreprise de la zone de Nicopolis : « La ville s’est appauvrie. Le climat est parfois tendu. Il y a de plus en plus de femmes voilées. Des difficulté­s sociales, des mères seules avec plusieurs enfants. Dans le centre, les gens ne restent pas longtemps : les appartemen­ts sont mal chauffés, mal isolés. Les loyers restent chers. Le soir, on voit une population maghrébine dans la rue. Les Brignolais ont peur. De quoi, on ne sait pas, mais ils ont peur […]. Dans les environs, des collines entières se couvrent de maisons, de zones pavillonna­ires. Des cadres moyens prennent leur retraite au soleil sans jamais mettre un pied en centrevill­e, dans des résidences ou des villas avec digicode. Mais on y croit encore. C’est une belle ville même s’il ne s’y passe rien.»

Midi. Fernand et Geneviève. Ils vivent à Carcès. Lui, ancien chauffeur de poids lourd. Des chaussons écossais. Elle, bénéficiai­re d’une pension invalidité (800 euros par mois). Elle : « Pour tout le monde, c’est dur. Je vois mon dernier fils, il a 32 ans, il a pas de boulot. Il reste à la maison. Il cherche mais c’est dur. Il vit avec 500 euros. » Lui : « La politique, m’en parlez pas ! J’ai toujours voté FN depuis l’âge de 18 ans. Je les écoute même pas, j’en ai rien à foutre : au bureau de vote, je prends un papier et c’est tout ! »

12h40. Forte affluence à la caisse. Choses entendues : « Ils devraient ouvrir une autre caisse. – Ils manquent de personnel. – Ils n’ont pas d’argent pour embaucher. »

16h15. Originaire d’Algérie, Victoria vient deux, trois fois par semaine, « parce que c’est la crise ». Elle a eu un magasin en centre-ville, qu’elle a vendu. « Je ne sens pas de racisme. Je sens beaucoup plus que les gens sont envieux : “Comment celle-là, une Arabe, elle a eu un magasin ?” ils se demandent. “Comment elle a fait pour avoir de l’argent, pour avoir une maison ?” »

16h40. Thierry, visage émacié. Un homme en colère. « Il faut pas oublier celles qui bossent ici : elles font plein de choses dans le magasin, elles se font exploiter. Les types de Lidl, ils tirent les prix parce qu’ils embauchent pas et paient mal leurs caissières. Et nous, consommate­urs, on profite de cette exploitati­on, c’est une honte ! […]. La campagne présidenti­elle, j’en ai rien à foutre ! L’avenir de la planète, il n’y a que ça qui compte. C’est maintenant que ça se joue, sinon nos gamins, ils vont avoir des problèmes. Mais les gros bonnets, ils s’en foutent. Le seul qui me plaît, c’est Hulot. »

17h15. D’origine tunisienne, Emilie aimerait que Marine Le Pen soit élue. « Ça ferait du ménage, les politiques, j’ai même plus envie de les écouter. Ce qu’ils disent, je suis sûre qu’ils ne vont jamais le faire. On leur donnerait notre salaire, ils n’y arriveraie­nt pas […]. La vie, elle est dure. En dix ans, mon salaire est passé de 1 080 à 1 180 euros. Avec mon compagnon, on essaie de pas dépasser 300 euros de courses par mois. Mais des fois, on tient pas. Et, bien sûr, on a droit à rien, ni l’aide au logement ni la prime d’activité. Et voilà comment on finit à Lidl ! Je comprends pas comment ceux qui entrent de force en France, ils ont plus que nous. Ils sont logés gratuiteme­nt. Nous, pourtant, on cotise, on travaille. Les politiques, ils ont quelque chose à gagner à laisser entrer autant de monde. Mais quoi? »

18h45. Ce soir, le personnel a une réunion à 20 heures. « Je vais me suicider ! plaisante une caissière. Ou bien trouver un vieux riche qui va m’entretenir ! »

SAMEDI 28 JANVIER

“J’en ai marre que les migrants, on leur donne sans arrêt” 8h25. Pour 1 euro, Louis repart avec un cageot d’invendus (fenouil, carottes, pommes de terre, persil, poivrons, mandarines). 81 ans, l’accent de Fernandel. « Je viens pratiqueme­nt tous les jours. Les produits sont frais, les prix, abordables et les caissières, bien aimables […]. Il y a beaucoup d’étrangers qui sont venus à Brignoles. Ça a changé les moeurs, certaines façons de vivre. On se méfie. J’habite dans un HLM : on nous a mis une porte blindée, des barreaux aux fenêtres. Avant, on pouvait laisser la clé sur la porte […]. J’étais chauffeur poids lourd. Je touche une retraite de 1 000 euros. Depuis quatre ans, elle a pas bougé […]. Même avec un nouveau président, je vois pas comment la France, elle va se redresser. »

9h20. Corinne charge ses courses de la semaine dans son Nissan Qashqai. Assistante maternelle, 46 ans. « Je gagne bien ma vie, plus de 2 000 euros par mois, mais je travaille soixante-cinq heures par semaine. Heureuseme­nt parce que ce n’est pas avec le salaire de mon mari qu’on s’en sortirait […]. A la présidenti­elle, je voterai Le Pen, désolée. J’en ai marre que les migrants, on leur donne sans arrêt. Ils se lèvent, ils ont 40 euros par jour. Moi, je me lève, j’ai rien. »

9h40. L’air bourru, un type fume une cigarette dans une vieille voiture. « Devant Lidl, il y a toujours de la place pour se garer. C’est pour ça que les centres-villes sont en train de crever : on ne peut pas se garer […]. Ici, avant, c’étaient des vignes, des oliviers. C’est un bon pays, on aime bien vivre, faire

la bringue. Donnez-moi de l’argent et je serai heureux ! […]. Ne me parlez pas de retraite, je vais m’énerver. Ça fait dix ans que ça n’arrête pas de baisser. Ma femme, elle est obligée de travailler pour qu’on s’en sorte ! Non, ne me parlez pas des retraites ! » Et il claque la portière, allume le moteur et s’en va.

10 heures. La promo du « super samedi » : un kilo de moules de corde (2,28 euros). A la caisse, un téléphone sonne. « Oui, je suis à Lidl. Après, je vais chez Leclerc acheter des bières, je ne peux pas aller plus vite que la musique! » Sa voisine soupire : « C’était quand même mieux quand ça existait pas, ces machins-là ! »

10h15. Après un incendie, Elisabeth a été relogée par la mairie dans une maison du centre-ville. « Je viens de recevoir ma taxe d’habitation : 995 euros ! Je ne vis pas dans du luxe, seulement dans une résidence. On se demande bien ce qu’on paie. La ville, elle coule ! »

10h55. Corinne se définit comme « une femme de droite ». « Fillon m’a déçue. On a des fins de mois difficiles, et lui… Nous, on va au Lidl, je suis sûre que Penelope, elle n’y va pas, chez Lidl. Elle va faire ses courses chez Fauchon, elle ! »

11 heures. Ludivine a acheté du Sopalin, des Kleenex, des sacs poubelle. « Le reste, ce sera au magasin bio, des graines, de la semoule, du poisson. » Infirmière libérale, elle vit à Brignoles depuis deux ans. « Ici, c’est une population défavorisé­e, avec un faible pouvoir d’achat. Il y a une forte consommati­on de drogue, d’alcool. Chez les patients, on trouve des bouteilles vides dans la cuisine. Le rosé du coin à 1 euro […]. Je me plais quand même ici. Il y a le soleil et je me suis fait des amis […]. Sur la politique, mon père disait toujours : les politicien­s, c’est pire que des putes parce que les putes, ça rend service. Quand j’étais plus jeune, je trouvais ça con. Aujourd’hui, je crois qu’il avait raison. Ce sont tous des énarques. Ils me débectent. Je n’arrive pas à les croire sincères, à me sentir représenté­e par eux. J’ai l’impression que notre système ne ressemble pas beaucoup à la démocratie. A la différence des pays nordiques. Je ne sais pas si je vais voter. »

Midi. Une femme qui ne veut pas dire son nom. Discussion éprouvante. Cette phrase, quand même : « A 80 centimes d’euro le kilo de bananes, on se demande ce que Lidl paie aux Africains ! »

13h40. Martine et sa famille ont quitté le Maine-et-Loire pour venir vivre au soleil. Retraitée. Deux enfants au RSA. « Je sens monter un mouvement silencieux, la prise en compte de la nature, du rôle de la finance. Il faut faire prendre conscience aux gens que la société de consommati­on, c’est fini. C’est ce qu’a compris Benoît Hamon. »

17 heures. Stéphanie, sac Vuitton à la main. Belle femme. Travaille dans l’immobilier. « Dans la région, Brignoles a les prix les plus attractifs, et pourtant c’est là que j’ai le plus de mal à vendre. La ville est d’une tristesse à mourir. Rien n’est fait pour les enfants. Moi-même, j’ai tout fait pour que ma fille n’aille pas au collège de son secteur. Il y avait des gosses qui foutaient le feu […]. Je vis au golf de Barbaroux. Tout y est très sécurisé. La résidence est sous vidéosurve­illance, avec des codes pour entrer et sortir […]. La situation politique me déprime. Parti comme c’est parti, on va se retrouver avec Le Pen, comme Trump aux Etats-Unis. »

Lors de la dernière présidenti­elle, la présidente du Front national a obtenu ici 28,75% des voix au premier tour. Quelques mètres avant la route du Lidl, une affiche se dresse avec ce slogan : « Brignoles, ville à vivre, ville d’avenir. »

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1. Jessica et Jérémy. Lui, en contrat à la mairie pour une formation de conducteur d’engin, elle, agent d’entretien hospitalie­r, en congé parental. 2. Emilie, un salaire de 1 180 euros. Son compagnon et elle essaient de ne pas dépasser 300 euros de...
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1. Stéphanie, qui travaille dans l’immobilier, vit dans une résidence ultra-sécurisée. 2. Geneviève et Fernand. Elle bénéficie d’une pension d’invalidité, lui est un ancien chauffeur de poids lourd. Ils vivent avec leur fils de 32 ans, au chômage.
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