L'Obs

HUMEUR

- J. G. Par JÉRÔME GARCIN

L a dernière fois qu’on l’a entendu chanter, c’était il y a dix ans, dans le film de Xavier Giannoli, « Quand j’étais chanteur », où il interpréta­it des standards de Julio Iglesias, Daniel Guichard, Michel Fugain, Mort Shuman et Michel Delpech dans les bals clermontoi­s. En crooner communal et bellâtre pour maisons de retraite, Gérard Depardieu, veste blanche et cheveux teints, était parfait. Plus proche de Georges Chelon que de Pavarotti, il avait la voix lascive de l’emploi, le timbre nonchalant des séducteurs désabusés. Aujourd’hui, et ce n’est plus du cinéma, l’acteur chante Barbara sur la scène des Bouffes du Nord et sort un disque (Because Music), enregistré dans la maison qu’elle habitait, à Précy-sur-Marne. Il fallait oser – mais qu’est-ce que Depardieu n’oserait pas ? Il n’a plus rien à perdre ni à gagner. Désormais, il ne cède qu’à ses envies. C’est un ogre impulsif et sentimenta­l. Et qu’importe s’il n’a pas la tessiture pour interpréte­r le répertoire de Barbara, il y va comme les poilus montaient au front, sans se retourner et après s’être étourdis à l’eau-de-vie. « Une petite cantate », « Drouot », « l’Aigle noir », « Nantes » et même « Ma plus belle histoire d’amour » : quatorze titres défilent, accompagné­s sinon sauvés par les musiciens de Barbara (Gérard Daguerre, Marcel Azzola, Dominique Mahut), composant au final un disque bizarre, mal foutu et attachant, venu d’on ne sait où. Depardieu chante, ou plutôt chantonne, tantôt voluptueux tantôt rocailleux, se contente parfois de déclamer certains couplets, de les théâtralis­er, façon Cyrano ou Jean Valjean, marmonne, gémit ou au contraire s’exalte. On a compris que les mélomanes peuvent s’abstenir et les puristes, s’éloigner. Mais les nostalgiqu­es seront émus par la manière si personnell­e, si physique, si naïve, dont son partenaire dans « Lily Passion » (il était l’assassin, elle était la star) se réappropri­e les chansons de la longue dame brune et, vingt ans après sa disparitio­n, lui déclare encore sa flamme. La voix de Depardieu n’est pas toujours juste, mais sa sincérité est authentiqu­e. Et même poignante lorsqu’il dit, mezza voce, « A force de », dont son fils Guillaume avait, un soir de détresse, déposé les paroles chez Barbara, à Précy, et qu’elle avait aussitôt mis en musique pour le glisser, en 1996, dans son ultime album : « Tant de solitude depuis ton départ/Même le fond se vide/Plus de sens à rien/Tu étais dans ma chair/ Tu étais dans mon sang/[...] Irais-je avec les anges/ Maintenant que tu es parti ? »

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