L'Obs

Rendell post-mortem

La reine du polar avait remis à son éditeur le manuscrit de son 66e roman avant de mourir, en 2015. Le plus sanglant pour la fin ?

- DIDIER JACOB

LES COINS OBSCURS, PAR RUTH RENDELL, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR JOHAN-FRÉDÉRIK HEL GUEDJ, LES DEUX TERRES, 320 P., 21,50 EUROS.

On ne compte plus le nombre de prix que Sa Majesté Ruth Rendell a reçus au cours de sa carrière. Comme ces « Dagues » d’argent, d’or et de platine remises par l’associatio­n anglaise des auteurs de romans policiers. C’est que l’auteur de « la Maison de la mort » a su, comme Agatha Christie, rendre le crime élégant. Quand elle trucide, elle n’éclabousse pas les murs d’hémoglobin­e. La mort, chez elle, ne passe jamais à l’action sans prendre d’abord une tasse de thé avec ses victimes. Dans « les Coins obscurs », Ruth Rendell n’a pas fait appel à son héros fétiche, Reg Wexford, un policier du Sussex. C’est un jeune écrivain fauché qui, cette fois, tient le devant de la scène. Il vient de s’installer dans la belle demeure de Falcon Mews, où son père, Wilfred, récemment décédé, avait accumulé des réserves de médicament­s à base d’huiles essentiell­es. A 23 ans, Carl a publié un premier roman, sans espoir que son succès d’estime ait un effet sur les ventes : pour calmer son banquier, il décide de louer le dernier étage de la baraque à un type sans histoire, Dermot McKinnon. Trop poli pour être honnête ? C’est ce qu’il va découvrir. La bonne nouvelle, c’est que Carl a enfin trouvé comment écouler le stock de médicament­s de son père, une de ses amies ayant jeté son dévolu sur un lot de gélules amaigrissa­ntes. Quand elle est retrouvée morte, après avoir tapé dans l’armoire à pharmacie de Wilfred, on se dit que les choses, pour Carl, n’ont pas pris un virage encouragea­nt. Dans ce livre à la dimension testamenta­ire (il se termine par « maintenant tout est fini »), Ruth Rendell, comme les skieurs nés, semble dévaler la pente sans même y penser. Dans un champ de bosses, elle retombe toujours sur ses spatules. On devrait faire plancher tous les apprentis écrivains sur les premières pages de ses livres : c’est simple, efficace, terribleme­nt agaçant.

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