“STIMULER LE CERVEAU NE MODIFIE PAS LA PERSONNALITÉ”
Pour le neurobiologiste Yves Agid, membre du Comité consultatif national d’Ethique, les implantations d’électrodes dans le cerveau ne provoquent que des changements de comportement sans toucher à ce que l’on est. Explications
Implanter des électrodes dans le cerveau pour en stimuler certaines zones pose question. N’est-ce pas jouer aux apprentis sorciers?
Précisons que toutes ces interventions sont médicalement très encadrées, et que les équipes qui les pratiquent suivent leurs patients sur de nombreuses années. Maintenant, il est vrai que le cerveau, c’està-dire nous, est une machine infiniment complexe, dont nous ne savons encore pas grand-chose. Un seul millimètre cube de matière cérébrale abrite 10 000 à 50 000 neurones et environ un demi-milliard de terminaisons nerveuses! C’est un univers qui nous reste à découvrir.
Cette intervention provoque parfois des modifications d’humeur tout de même assez spectaculaires…
C’est vrai. Je me rappelle le cas d’une patiente atteinte de la maladie de Parkinson traitée avec efficacité par stimulation électrique chez qui un confrère a modifié les paramètres de stimulation. Cette femme a aussitôt fondu en larmes et s’est mise à gémir : « Je veux mourir ! Je suis un poids pour vous ! » Le médecin a immédiatement repris les paramètres antérieurs, et au bout de quelques secondes, elle a éclaté de rire : « Mais qu’est-ce que vous m’avez fait? » Il avait créé un état dépressif aussi sévère qu’inattendu.
C’est un peu effrayant, non?
Ce le serait vraiment si cet état était durable, mais il ne l’a pas été. Cette patiente était « sincèrement » dépressive pendant quelques secondes – elle éprouvait en elle un réel sentiment de mal-être. Mais aussitôt que le circuit nerveux modulateur de cette émotion n’a plus été plus stimulé, son mal-être s’est évanoui.
La stimulation cérébrale profonde peut-elle provoquer des changements de comportement plus durables?
Oui, on a pu observer que certains patients parkinsoniens entièrement remis affichaient des comportements inattendus, par exemple un état d’excitation excessive. Avec la chercheuse Marcela Gargiulo, nous avons étudié les comportements psychologiques d’une vingtaine de patients parkinsoniens après leur opération. Alors que leurs symptômes moteurs étaient améliorés de façon spectaculaire,
certains ont connu des problèmes conjugaux pouvant aller jusqu’au divorce. D’autres, qui avaient une activité professionnelle avant l’intervention, n’ont jamais souhaité retourner travailler. D’autres enfin, après quinze ans de handicap lié à la Parkinson, voulaient reprendre une « vie de jeune homme » [sur le plan sexuel aussi, NDLR]. « Je le préférais avant, il était plus doux et plus gentil », disait l’épouse de l’un d’entre eux.
Cela veut donc dire que leur personnalité a été transformée!
Attention à ne pas le décréter trop vite. D’autres opérations lourdes, comme des transplantations de rein ou de coeur, par exemple, peuvent provoquer des résultats similaires alors que personne n’est intervenu sur le cerveau. Une opération représente un changement brutal dans une existence. Quelqu’un de lourdement handicapé par une maladie, enfermé dans une « prison » durant des années, redevient soudain « comme avant » alors que le contexte a changé. Toute sa vie s’est construite autour de soins lourds, son entourage s’est modelé sur cette situation. Dès que cette personne est guérie, les rôles sont, en quelque sorte, redistribués et l’ancien malade doit reconstruire sa vie sur d’autres rythmes. Reprendre son existence d’avant signifie renouer avec le salariat, les transports en commun… Tout cela exige une adaptation parfois difficile. Cela ne signifie pas du tout que la personnalité du patient ait été modifiée.
Quid de « monsieur B », un patient néerlandais opéré en 2006 pour des TOC et qui s’est mis à écouter exclusivement Johnny Cash alors qu’il n’avait aucun penchant pour la country avant l’opération! Un genre de musique que ce même « monsieur B » a cessé d’aimer quand son stimulateur est tombé en panne…
Ce cas est connu en effet, mais il ne prouve pas grand-chose, parce qu’il n’est pas statistiquement représentatif. On ne peut pas déduire une loi scientifique à partir de ce qui s’apparente à un cas isolé, fût-il troublant. Même s’il faut garder cette observation en mémoire.
Sur le plan médical, comment définit-on la personnalité?
Elle se caractérise par deux traits: d’abord, elle est unique. C’est le moi freudien, celui qui fait que je suis moi et pas quelqu’un d’autre et que j’en suis conscient. Il existe donc autant de personnalités que d’humains sur terre. Ensuite, elle est permanente. Notre humeur varie continuellement, selon les événements, l’actualité, la météo… On peut être un jour gai, le lendemain morose, un jour serein ou en colère. Mais la personnalité elle, est un « fond » qui n’évolue pas, ou peu, au cours de l’existence.
Peut-on la cerner médicalement?
On peut l’évaluer, mais difficilement. Nous disposons de tests psychologiques, comme par exemple l’inventaire multiphasique de personnalité (MMPI). C’est une batterie de questions qui permet de déterminer si votre personnalité comporte des nuances, comme une tendance hystérique ou paranoïaque, une difficulté à agir, un degré important d’impulsivité, de confiance en soi, de sens de la sociabilité, etc.
Et que disent les tests MMPI pour les gens qui ont subi des stimulations cérébrales profondes?
Pour mesurer si une personnalité a changé, il faut évidemment faire le test avant et après l’opération, puis comparer les résultats. Pour prendre un exemple extrême, un individu qui subit une lobotomie, donc une ablation d’une partie du cerveau, connaît un vrai changement de personnalité. Il devient apathique. Ce n’est pas le cas des gens qui ont été opérés par stimulation cérébrale profonde. Bien entendu, les changements de comportement observés chez certains patients ont de l’importance pour eux et son entourage. Mais ils sont transitoires, contrôlables grâce à soutien psychologique avant et après l’intervention. Par conséquent, sur le plan éthique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
La personnalité d’un humain peut-elle se résumer à un simple test psychologique?
C’est une vraie question. Sans doute, les tests existants sont-ils un peu grossiers pour appréhender les innombrables facettes de ce qui compose, profondément, un être humain. D’où l’importance d’entretiens, plus qualitatifs, répétés pour interdire le traitement chez les patients exposés à ce type d’effets indésirables. Disons que, dans la connaissance actuelle, la stimulation cérébrale profonde ne modifie pas la personnalité. Et, point crucial, la méthode est réversible. En cas de problème, il suffit d’ôter les électrodes implantées dans le cerveau pour que les effets du stimulateur ne se fassent plus sentir.