L'Obs

Le lac majeur

LE PAYS DONT JE ME SOUVIENS, PAR ANNE RÉVAH, MERCURE DE FRANCE, 176 P., 17,80 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Il pleut sur la France, c’est la saison des fuites. On ne compte plus les romans du moment, signés Christian Oster, Colette Fellous ou Eric Pessan, dont, à pied, en bateau, en avion, les personnage­s, réfutant notre époque et récusant leurs contempora­ins, s’éclipsent. Sans regrets ni remords, ils partent le plus loin possible. Philippe est de ceux-là. A 45 ans, il n’en peut plus de sa vie d’homme couché et couard. De sa femme fortunée, Claire, qui l’esclavage, l’anesthésie et le méprise. De son boulot de prof de physique dans un collège catho, qui l’ennuie et qu’il ne doit qu’à l’interventi­on de son épouse d’avoir obtenu. Alors, il claque la porte et part, un vieux revolver dans une poche, une liasse de 30000 euros (retirés du compte de Claire) dans l’autre. Au volant d’une voiture de location, il roule jusqu’à sa ville natale, sur les traces effacées d’un amour de jeunesse, et fait la rencontre, dans un bar qui jouxte son lycée d’autrefois, d’un SDF venu y prendre sa douche hebdomadai­re. Myor dort sous une tente, dans la forêt voisine. Il parle peu et noircit des feuilles de papier. On dirait un clochard beckettien sorti d’une fable d’André Dhôtel. Il prétend venir du « Territoire du lac », situé dans un pays montagneux, que Philippe va réussir à localiser, du côté des îles grecques. Ensemble, ils décident d’y aller, l’ermite retour d’exil se laissant conduire par le citadin en quête d’exil, son nouvel ami. Ce beau roman d’Anne Révah (photo) est la chronique d’une discrète et secrète odyssée, où deux hommes se donnent la main pour retrouver un lieu rêvé, celui de l’enfance où les adultes n’ont plus accès. Autour de ce lac à l’eau salée, les hommes étudient la qualité, la densité, l’intensité de la lumière (pour la désigner, ils parlent d’« astyrs », de « falliomes », de « louarles »), les femmes vivent entre elles dans un endroit caché où l’on accède par le seul chant, et les destins se forgent – je n’en dirai pas davantage – le « jour de certitude ». Ouvert sur le ton laconique d’un roman social aux teintes grisâtres, « le Pays dont je me souviens » se termine dans l’énigmatiqu­e clarté des contes et légendes. Dès ses premiers romans, « Manhattan » et « Pôles magnétique­s », la pédopsychi­atre Anne Révah s’est attachée à des héroïnes qui larguent les amarres et entrent, pour se sauver, se surpasser, se réinventer, dans une troisième dimension. Ce grand voyage, elle ne l’a jamais mené si loin, si haut que dans ce roman tout en mouvement, en délicatess­e et en 3D.

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