L'Obs

Me donne pas la main, camarade…

Malgré un passé commun au PS, Hamon et Mélenchon n’ont pas réussi à s’entendre pour rassembler les gauches. Retour sur vingt-cinq ans d’une relation sans liens affectifs

- Par CÉCILE AMAR

Mélenchon veut me voir, comment je dois faire avec lui ? » En cet été 2008, Benoît Hamon prépare l’unificatio­n de toute la gauche du PS et a besoin de conseils avant de rencontrer son aîné pour discuter de leur future motion commune en vue du congrès du parti qui se profile. Mais il ne sait pas comment l’aborder. Le député européen appelle donc son copain Pascal Cherki, qui connaît bien Mélenchon. « C’est simple : Jean-Luc est un lambertist­e, il ne comprend que l’autorité et le rapport de force. Dès qu’il t’emmerde, fais-le chier. Tu le défonces, tu lui dis : “Barre-toi si c’est ce que tu veux.” » En sortant de son rendez-vous avec l’ancien ministre de Lionel Jospin, Hamon appelle Cherki, goguenard : « Tu avais raison. Il m’a fait son numéro de pied-noir. Je lui ai dit : “T’es qui pour me parler comme ça ?” Et il s’est calmé. »

Selon l’équipe du candidat socialiste à la présidenti­elle, le rendez-vous à l’époque ne s’est pas mal passé. La discussion aurait même été cordiale. Jean-Luc Mélenchon n’a lui qu’un souvenir fugace de cette rencontre. Le congrès du PS n’était pas essentiel à ses yeux. Le sénateur savait que c’était la dernière étape de son parcours socialiste. « Je sentais déjà que c’était fini. On n’était plus dans le même monde, je militais beaucoup avec les altermondi­alistes. Je voyais bien qu’il fallait quitter ce parti, que cette gauche allait mal finir », se rappelle Mélenchon. Alors, quand Hamon, tout content d’être le premier signataire de la motion, lui affirme que le texte qu’il lui présente n’est pas amendable, ou qu’il bataille pour imposer les siens comme mandataire­s contre les amis de Mélenchon, ce dernier s’en fiche un peu. Ce monde n’est déjà plus le sien. Et l’ancien patron du MJS n’a jamais été une figure importante à ses yeux.

Ces deux-là n’ont jamais été amis. Tout juste camarades. Et encore, sans vraiment se croiser. Différence d’âge (seize ans les séparent). De culture politique. De socialisme. Hamon a été biberonné au rocardisme, il a grandi dans le MJS. Mélenchon a été trostkiste, puis mitterrand­iste. « Ce sont deux univers orthogonau­x. Ils ne sont pas du même monde. Pour Benoît, Jean-Luc est un mitterrand­iste franc-maçon. Et pour “Méluche”, Benoît est un petit jeune de la deuxième gauche, cette gauche d’accompagne­ment social. Et Benoît n’est pas un intellectu­el à la différence de Jean-Luc », décrypte un des rares à bien les connaître tous les deux. Un ponte du PS qui les a cotoyés pendant des années rue de Solférino confirme cette absence d’attirance réciproque et de centres d’intérêt communs : « Ils sont très différents dans leur façon d’être, de se présenter, de militer. Mélenchon parlait toujours un ton audessus. Il semblait toujours nous prendre de haut. Benoît parlait normalemen­t. » « Il n’y a jamais eu d’appétence de l’un pour l’autre. Le climat n’a jamais été bon entre eux. “Méluche” était odieux, glaçant. Il avait tendance à prendre Benoît pour un con. Benoît s’en rendait compte et n’aimait pas. »

Avant cet épisode du congrès de 2008, les deux hommes ont fait partie de l’équipe de direction du PS quand Michel Rocard en a été brièvement premier secrétaire, en 1993-1994. Mais ils n’ont guère échangé. Et l’expérience a vite tourné court, fracassée par la débâcle de la liste Rocard aux européenne­s de juin 1994. Ces deux maigres combats menés côte à côte ne leur ont pas permis de nouer une relation. Mélenchon en convient : « Je n’ai pas d’histoire commune avec lui. Pour moi, à l’époque, Benoît Hamon est un rocardien du MJS, le nouveau Dray en quelque sorte, le socialiste qui s’occupe des jeunes alors qu’il n’en a plus l’âge. Je n’ai ni affection ni répulsion. »

Cette absence de proximité ne s’est évidemment pas arrangée après le départ de Mélenchon du PS. Et aujourd’hui qu’ils sont candidats à la présidenti­elle l’un contre l’autre, leur passé n’aide pas à envisager un chemin ensemble. « Il n’y aura jamais de moment commun. L’objectif de Mélenchon depuis qu’il est parti est de battre le PS. Nous, c’est de le faire gagner. Nos routes ont divergé, c’est comme ça », analyse Pascal Cherki. Hamon, fort de sa victoire surprise à la primaire, se pense « le mieux placé pour rassembler la gauche ». Et depuis que les sondages le placent devant Mélenchon, il est sur un petit nuage. Il aimerait que « l’insoumis » se soumette au nom de l’unité.

Hamon avait promis d’appeler Mélenchon dès le soir de la primaire. Il a finalement mis près de trois semaines à le faire, une fois que l’ancien sénateur lui a proposé un rendez-vous, puis écrit une lettre listant les conditions d’un éventuel accord. Ils devaient se voir. Mais leur union est morte avant même d’avoir été célébrée. Un proche de Mélenchon, qui connaît Hamon depuis longtemps, balance : « On sait depuis le début qu’il prépare le congrès du PS, pas la présidenti­elle. » Pour Pascal Cherki, « à aucun moment Mélenchon n’a essayé d’établir des passerelle­s. On essaie de voir comment on peut converger, mais lui ne manie que l’oukase. Au moment où il faudrait réfléchir à un nouveau Front populaire en France et en Europe, lui est dans la logique “Front classe contre classe” ».

Alors, à défaut d’attirer Mélenchon, Hamon rêve de « siphonner » ses électeurs, selon le mot proféré avec gourmandis­e par tous les hamonistes. « Soit l’électeur de Mélenchon se dit “je continue à creuser le sillon de la radicalité”, soit, si Benoît a des chances de l’emporter, il se dira “ça vaut le coup d’aller avec lui”. Cela se verra dans les quinze derniers jours », veut croire Jean-Marc Germain, le directeur de campagne du socialiste. Autrement dit, c’est bien le peuple de gauche qui tranchera l’histoire de cette relation impossible.

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