Le cahier critiques
COMMENT DEVENIR PROPRIÉTAIRE D’UN SUPERMARCHÉ SUR UNE ÎLE DÉSERTE, PAR DIMITRIS SOTAKIS, TRADUIT DU GREC PAR FRANÇOISE BIENFAIT, INTERVALLES, 160 P., 19,90 EUROS.
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Il fallait un Voltaire pour tirer de la crise financière grecque une fable à la « Candide ». Né à Athènes en 1973, ancien étudiant en musicologie à Londres, Dimitris Sotakis (photo) s’était fait remarquer par un premier roman dont le titre, compte tenu des difficultés de la Grèce à boucler ses fins de mois, témoignait déjà d’un optimisme incorrigible : « L’argent a été viré sur votre compte ». Sotakis y dressait le portrait d’un employé dont l’appartement servait à entreposer le volumineux stock de la société dont il était salarié. Dans sa nouvelle satire de la société de consommation, Sotakis pousse cette fois l’absurde jusqu’à imaginer un naufragé construisant un supermarché sur une île déserte. Robert Lhomme, 37 ans, est né à Wellington en Nouvelle-Zélande. Il mène une vie paisible dans une petite ville du nord du pays, où les distractions consistent principalement à écluser des bières dans le pub local. Robert travaille pour un magazine étudiant, et doit justement effectuer un reportage en Nouvelle-Guinée. Quelques jours après avoir embarqué, il se réveille, seul survivant d’une traversée dont il ne garde aucun souvenir, sur une île paradisiaque uniquement peuplée de chèvres et de sangliers. Lhomme étant un jeune loup pour Lhomme, notre Robinson, tendance Macron, conçoit donc le grandiose projet de faire fortune dans la grande distribution. En somme, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles : la mer est bleue, le soleil brille, le patronat sent bon le sable chaud.
Sotakis, c’est Jules Verne au pays des têtes de gondole, et Daniel Defoe à l’ère du tout-marketing. Même s’il n’y a pas âme de consommateur qui vive à des milliers de kilomètres à la ronde, Lhomme ne laisse rien au hasard : il évalue la taille du bâtiment qu’il construit avec des troncs d’arbre, réfléchit à la gamme de produits présentés, prévoit le parking qui accueillera les voitures des clients, songe à enregistrer sa petite entreprise au registre du commerce, sans oublier la compta, la TVA, la machine à café, les embauches de personnel. Un dingo ? Non, un chef d’entreprise qui, comme tout bon patron, craint la concurrence, et dont Sotakis ne fait que décrire, dans ce roman plus subversif qu’un pamphlet contre la mondialisation, le parcours du combattant. On attend maintenant la suite des aventures de notre capitaliste en pagne : après avoir bâti le supermarché et consolidé son entreprise, pourquoi ne procéderait-il pas à son introduction en Bourse ?