L'Obs

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Pour le président d’honneur de Saint-Gobain, les entreprise­s du CAC 40 ne vont pas assez vite et loin dans la transforma­tion numérique

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La leçon de Beffa aux grands patrons

Jean-Louis Beffa. « Les start-up veulent grandir le plus vite possible pour avoir une position dominante, c’est seulement là qu’elles se posent la question de la rentabilit­é. »

Ce livre, Jean-Louis Be a y tient. Il nous appelle une première fois : « Avez-vous bien reçu les épreuves ? » Une deuxième fois : « L’avez-vous lu ? Ça va vite. » C’est vrai : 150 pages, hyper-pédagogiqu­es. Le titre, pourtant, ne fait pas forcément envie : « Se transforme­r ou mourir. Les grands groupes face aux start-up » (Seuil). Au prix où sont payés les patrons de « grands groupes », on se dit qu’ils ont déjà pris la mesure de la transforma­tion numérique et qu’il n’est guère besoin de leur donner un mode d’emploi. Amazon a fêté son 23e anniversai­re, Facebook son 13e, Airbnb ses 9 ans. Même Uber ou Snapchat approchent l’âge de raison. Il est donc un peu tard pour se réveiller !

Le président d’honneur de Saint-Gobain fronce les sourcils. Il croise tous les patrons du CAC 40 dans les dîners de l’Arop, l’associatio­n des mécènes de l’Opéra de Paris, qu’il préside, il conseille les associés de la banque Lazard et rencontre fréquemmen­t leurs clients. Et il n’est pas aussi optimiste. « Certains n’ont pas encore conscience de l’urgence ou de la manière de s’y prendre, explique-t-il. Pour ne pas se laisser distancer par une start-up et se réveiller un matin avec un concurrent qu’on n’a pas vu venir, il faut bien comprendre leurs principes de fonctionne­ment, à savoir la vitesse, l’agilité et l’obsession de la croissance. Elles veulent grandir le plus vite possible pour avoir une position dominante, c’est seulement là qu’elles se posent la question de la rentabilit­é. » Il insiste : « Amazon est rentable, mais ce n’est pas sa priorité. Dans les grands groupes aujourd’hui, c’est l’inverse. La rentabilit­é, c’est la première obsession. » Beaucoup de PDG ont compris qu’il fallait avoir des start-up en interne, donner de l’espace aux innovateur­s, « mais ils me disent : “Ça me coûte cher, je perds de l’argent.” C’est la preuve qu’ils n’ont pas bien compris, regrette celui qui joue le vieux sage. Dans une start-up, quand il y a un problème, un retard sur le calendrier, on double les moyens plutôt que de repousser la date. Dans un grand groupe, on fait généraleme­nt l’inverse ». Pour lui, d’ailleurs, la plupart des entreprise­s sous-investisse­nt. « Elles doivent aller plus vite et plus loin, avoir l’ambition de construire des plateforme­s aussi complètes si possible que celles d’Amazon. Les dépenses informatiq­ues et celles nécessaire­s pour la transforma­tion numérique devraient doubler dans beaucoup d’entreprise­s. Je prêche l’urgence », dit-il, en reconnaiss­ant qu’il y a des goulets d’étrangleme­nt humains puisque les développeu­rs sont di ciles à trouver : un grand défi pour notre système éducatif ou la formation profession­nelle.

La mise en place de cette nouvelle organisati­on en plateforme doit être l’obsession personnell­e de chaque dirigeant. « Plateforme » est d’ailleurs l’un des maîtres mots du livre. Une entreprise doit se concevoir comme une interface entre ses clients, fournisseu­rs, salariés, partenaire­s. Elle doit surtout capter un maximum de données pour améliorer tous ses services et ses processus industriel­s, sans laisser à d’autres cette manne du « big data ». Adepte du réseau social chinois WeChat, Jean-Louis Be a regrette que l’Europe n’ait pas réussi, comme la Chine, à faire émerger des équivalent­s aux Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Et ne lui parlez pas de l’Etat ! Il sort son joker lorsqu’on lui demande de passer au crible les programmes des candidats à la présidenti­elle. Mais sans le pousser beaucoup, il concède que le seul qui lui paraisse comprendre la mutation, c’est Emmanuel Macron, « un enfant du numérique ».

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