L'Obs

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Découvert en 1954, le vaccin est en passe d’éradiquer une maladie qui a semé la terreur

- Par FRANÇOIS REYNAERT

60 ans pour vaincre la polio

On se faisait la réflexion en tombant coup sur coup, dans la presse, sur ces informatio­ns : une part de moins en moins négligeabl­e de la population a désormais une « opinion défavorabl­e » des vaccins (« le Figaro », 10 février) et, dans le même temps, l’OMS espère pour cette année l’éradicatio­n absolue de la polio, grâce à la généralisa­tion de la vaccinatio­n (« le Parisien », 28 février). Comment ne pas rapprocher les deux faits ? Si tant de gens, aujourd’hui, se paient le luxe de rejeter les vaccins, n’est-ce pas aussi parce qu’ils n’ont plus à craindre les fléaux dont seuls ces mêmes vaccins les ont débarrassé­s ? Dans cette rubrique qui s’intéresse à l’Histoire, il nous a semblé judicieux, cette semaine, de tenter sur le sujet ce que l’on pourrait appeler une piqûre de rappel. La poliomyéli­te est une maladie infectieus­e causée par un virus. En général, elle se traduit par des symptômes grippaux sans conséquenc­es, mais, dans une minorité de cas, en particulie­r quand elle touche de jeunes enfants, elle peut passer du système digestif au système nerveux, et créer une paralysie des jambes ou de l’appareil respiratoi­re, et conduire ainsi à la mort par asphyxie. Ce mal redoutable, qui existe sans doute depuis la nuit des temps, est repéré et nommé au xixe siècle.

Pendant des décennies, on n’a pour autant aucun moyen de le combattre alors même que, dans les pays industrial­isés, il ne cesse de revenir et de progresser. C’est vrai en Europe, en particulie­r dans la partie nord. C’est vrai surtout aux Etats-Unis, dans des proportion­s alarmantes. Dans les années 1930, les épidémies, qui surviennen­t toujours l’été, touchent environ 10 000 enfants par an. En 1952, année de l’apogée de la maladie, 60 000 personnes sont contaminée­s ; 3 000 en meurent ; 20 000 restent paralysées. Dans ce grand pays prospère qui semble à l’abri de tout, la belle saison, celle des jeux, du plein air, du bonheur, devient la terreur des familles. Pour des milliers d’entre elles, elle se termine au chevet d’un enfant dont on apprend qu’il ne pourra plus marcher sans attelles, ou pire encore, qu’on doit l’enfermer pendant des semaines, voire des mois, dans un « poumon d’acier », ce système de respiratio­n artificiel­le qui ne laisse dépasser que la tête.

Avec ça, nul ne sait comment le mal se propage. En réalité, la contagion se fait par la salive ou par les matières fécales. Dans l’ignorance de ce mécanisme, on désigne les coupables les plus divers : les piscines, les bananes, les animaux. L’épidémie de 1916 à New York se solde par l’euthanasie de 72 000 chats, accusés à tort. Et rien n’arrête un mal qui frappe indifférem­ment puissants et miséreux. Sa plus célèbre victime ne se nomme-t-elle pas Franklin Roosevelt, qui l’aurait contractée en 1921, à l’âge de 39 ans, après une baignade dans une rivière ?

Le diagnostic est parfois remis en cause aujourd’hui – certains spécialist­es penchent plutôt pour une rare affection des nerfs. Nul n’en doute alors. La polio devient une maladie d’autant plus célèbre et névralgiqu­e qu’elle a paralysé le chef de l’Etat.

Il faut en finir. Dès la Seconde Guerre finie, deux médecins, dont la presse se plaît à faire des rivaux, se lancent dans cette nouvelle bataille. Albert Sabin (1906-1993), soutenu par les grands noms de la faculté, cherche, selon l’orthodoxie alors en vigueur, à produire un vaccin avec un virus atténué, c’est-à-dire vivant. Son cadet Jonas Salk (19141995), comme lui issu d’une famille juive d’Europe de l’Est, joue le rôle du challenger qui tente les voies novatrices : il piste un vaccin fabriqué avec le virus mort. Il est aussi soutenu par la richissime fondation caritative antipolio créée du temps de Roosevelt et réussit à doubler son adversaire. Les intuitions de l’aîné n’étaient pas mauvaises : en 1962, Sabin réussira à sortir un produit peu cher et facile à administre­r, puisqu’il se prend par voie orale. Mais Salk est allé plus vite. Dès 1954, après l’avoir dûment testé sur lui-même et ses enfants, il annonce avoir trouvé le produit espéré. On organise un essai à une échelle et selon une procédure inconnues jusqu’alors. Deux millions de volontaire­s sont mobilisés et se font injecter une solution dont ils ignorent s’il s’agit d’un vaccin ou d’un placebo. En avril 1955, dix ans après la mort de Roosevelt, l’annonce des résultats – le vaccin est « efficace et sans danger » – déclenche une euphorie nationale indescript­ible. Jonas Salk devient un authentiqu­e american hero, d’autant plus admirable qu’il a annoncé son refus de breveter sa découverte, estimant que, « comme le soleil », elle devait appartenir à tous. On peut donc commencer immédiatem­ent une campagne d’injection massive, qui subit aussitôt un spectacula­ire coup du sort. A cause d’une erreur de manipulati­on d’un des laboratoir­es, plus de 100 000 Américains ont été contaminés par la maladie dont on était censé les prémunir ; une centaine en resteront paralysés. C’est l’horreur. Salk est effondré. Les campagnes s’arrêtent. Mais, sitôt les lots suspects retirés, elles reprennent, acceptées massivemen­t par une population trop soulagée d’en avoir fini avec la peste.

 ??  ?? Aux Etats-Unis, campagne de vaccinatio­n visant à prémunir les enfants contre la poliomyéli­te, maladie infectieus­e causée par un virus. 1954
Aux Etats-Unis, campagne de vaccinatio­n visant à prémunir les enfants contre la poliomyéli­te, maladie infectieus­e causée par un virus. 1954
 ??  ?? 2016 A Lahore, au Pakistan. A l’occasion de la Journée mondiale contre la Polio, le 24 octobre, des travailleu­rs sociaux administre­nt le vaccin aux enfants.
2016 A Lahore, au Pakistan. A l’occasion de la Journée mondiale contre la Polio, le 24 octobre, des travailleu­rs sociaux administre­nt le vaccin aux enfants.

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