L'Obs

L’HÉMORRAGIE SE POURSUIT

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Les deux directeurs adjoints de la campagne de Fillon, l’un proche de Bruno Le Maire, l’autre proche d’Alain Juppé, annoncent leur démission. Dans la foulée, de nombreux élus prennent leurs distances. Tout le monde téléphone à tout le monde. L’idée d’une candidatur­e alternativ­e de Juppé semble progressiv­ement s’imposer et rallier même d’improbable­s soutiens, comme celui du député sarkozyste du Rhône Georges Fenech. Les prises de position de ces derniers signifiera­ient-elles que Nicolas Sarkozy a levé son veto contre Juppé ?

Depuis la veille, quelques amis de l’ancien chef de l’Etat l’ont mis en garde. « Attention, lui disent-ils en substance, si Fillon n’est pas au second tour de la présidenti­elle et que tu apparais comme celui qui a bloqué Juppé, tu seras désigné comme le responsabl­e de la défaite de ton camp. » Sarkozy assouplit donc sa position, mais sans du tout renoncer à tenter d’imposer ses hommes à Juppé, le cas échéant. Désormais membre du conseil d’administra­tion du groupe hôtelier Accor, il feint de regarder tout cela de haut. En réalité, il s’agite beaucoup dans les coulisses. Il reçoit tous ceux qui viennent écouter l’oracle, pas mécontent de constater qu’il demeure pour beaucoup le paterfamil­ias, l’incontourn­able qu’on consulte en temps de crise. A commencer par François Fillon, venu, toute honte bue, déjeuner dans ses bureaux de la rue de Miromesnil pour quêter son aide. L’avenir de sa famille politique lui importe, et plus encore le maintien de son influence en son sein.

Fillon, lui, réunit dans la matinée de ce 2 mars un comité restreint autour de lui. Nathalie Kosciusko-Morizet manque à l’appel. Elle avait, selon son équipe, « un événement ultra-calé dans le 13e arrondisse­ment ». En réalité, celle qui a hérité de la circonscri­ption parisienne de Fillon prend ses distances. Elle lui a exprimé son opposition à la manifestat­ion prévue au Trocadéro, présentée dans un premier temps comme un défi aux juges ou à la presse. Gérard Larcher n’est pas là non plus. Le président du Sénat assume désormais sa position en faveur d’une candidatur­e alternativ­e à celle de Fillon. De son côté, Bruno Le Maire, qui a réuni ses soutiens, fait un pas de plus vers « Alain Juppé, selon

[lui] le candidat le plus naturel », comme il le déclarera le lendemain dans une interview au « Figaro ».

SAMEDI 4 MARS LE FIASCO D’AUBERVILLI­ERS

Aux Docks d’Aubervilli­ers, l’ancien Premier ministre fête ses 63 ans dans une ambiance crépuscula­ire, devant une salle à moitié vide. Et pourtant, ça devait « décoiffer », selon Pierre Danon, chef d’entreprise proche de Fillon, l’un des organisate­urs de ce show destiné à mettre en scène la société civile derrière le candidat de la droite.

A la tribune, Bruno Retailleau se fait acclamer lorsqu’il lance cette mise en garde : « Que les appareils ne s’avisent pas de modifier la ligne ni le choix de la primaire. Le peuple de France en a marre de se faire voler ses votes ! » Au premier rang sont assis l’ancien ministre Charles Millon, élu aux régionales de 1998 en Rhône-Alpes avec les voix des élus FN, ainsi que l’entreprene­ur Charles Beigbeder. En 2015, ce dernier avait déclaré qu’il n’aurait « aucun état d’âme à voter FN », avant de corriger ses propos. Porte-parole improvisé de Fillon, Beigbeder se réjouit devant les caméras de voir le QG « épuré », après les nombreuses défections d’élus ou de collaborat­eurs. Très engagés dans la Manif pour tous, Millon et Beigbeder ont créé ensemble un think tank, l’Avantgarde, qui oeuvre au rapprochem­ent des droites. Plus loin dans la salle, Frigide Barjot propose son autocollan­t « Touche pas à mon vote », fait signer des pétitions de soutien à Fillon et, avec l’aide du mouvement Sens commun, mobilise pour la manif du lendemain.

A 17h18, une dépêche AFP tombe au milieu du discours de Fillon : Bernard Accoyer, secrétaire général des Républicai­ns, et Gérard Larcher convoquent un comité politique extraordin­aire afin d’« évaluer la situation politique du candidat » le lundi suivant. En clair, il reste deux jours à François Fillon pour se rendre à la raison et accepter de passer la main, sinon il sera mis en minorité…

En fin de journée, de retour du Parc des Princes où il a assisté au match PSGNancy, Nicolas Sarkozy téléphone à Alain Juppé. Il faut en finir avec ce petit jeu du « c’est pas moi qui appelle, c’est lui » qui dure depuis plusieurs jours. L’ancien président est prêt à le soutenir si Fillon accepte de se retirer. Mais ses conditions, pardon, ses « conseils » n’ont pas varié : le maire de Bordeaux devrait vraiment travailler avec Baroin et Wauquiez…

DIMANCHE 5 MARS PENELOPE À LA RESCOUSSE

9h30. Au QG, François Fillon, visiblemen­t éprouvé par le flop de la veille, donne des signes de lassitude. A certains de ses proches, il se dit même prêt à passer la main. Mais ce n’est pas si clair. Ce matin-là, dans « le Journal du Dimanche », sa femme, Penelope, qui sort de son silence pour la première fois depuis le début de l’affaire le 24 janvier, affirme sa déterminat­ion. De même qu’il offre deux visages différents en fonction de ses interlocut­eurs, Fillon a deux fers au feu. Comme le démontrera son discours du Trocadéro : ferme sur le projet et les valeurs, plus ambigu pour ce qui concerne le maintien de sa candidatur­e. Cette fois, il ne répète pas qu’il ira jusqu’au bout quoi qu’il arrive. Il laisse la porte ouverte. Si la manif est un bide, il aura ouvert la voie. Si c’est un succès, il aura souligné le manque de nerfs et les petites lâchetés des uns et des autres. La suite démontrera que le vent tourne très vite à droite. Dès le dimanche soir, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, qui s’apprêtaien­t à lancer un appel à Juppé avec Christian Estrosi, redevienne­nt filloniste­s…

Fillon, l’homme qu’on présentait, depuis des années, comme toujours planqué derrière les autres, s’est révélé être un redoutable manoeuvrie­r. Il a parié, avec succès, sur les rivalités personnell­es des quadras et des quinquas. Et sur le caractère d’Alain Juppé. Il a démontré une réelle capacité à encaisser les coups. Il a appris à « cheffer », comme on dit dans la famille chiraquien­ne. Et après ? Fillon a imposé sa candidatur­e. Mais il lui reste à gagner sa campagne. Pourra-t-il, après cet « immense gâchis », récupérer tous ceux qu’il a laissés partir ? Au-delà des nouvelles échéances judiciaire­s à venir, dès la semaine prochaine, à quoi tout cela aura-t-il servi, s’il n’emmène pas sa famille politique au second tour de l’élection présidenti­elle ?

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François Fillon, accompagné de son épouse, Penelope, salue ses supporters après son discours au Trocadéro.

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