L'Obs

“ATTAQUER LA JUSTICE AVEC UNE TELLE VIOLENCE EST INACCEPTAB­LE”

L’avocat pénaliste Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, dénonce la fronde du clan Fillon contre la justice. Selon lui, les fondements de la République sont menacés

- Propos recueillis par MATHIEU DELAHOUSSE

Quand on est candidat à la présidenti­elle, on postule de facto à devenir le garant de l’indépendan­ce de l’autorité judiciaire. Est-on disqualifi­é en affichant une telle attitude de défi envers les juges ? C’est un problème majeur. L’indépendan­ce est un pilier de la justice. La contester est grave. Que faut-il souhaiter ? Des juges aux ordres ? La protestati­on que l’on entend aujourd’hui est un extraordin­aire renverseme­nt des valeurs. Nous avons déjà eu dans l’histoire des juges inféodés au pouvoir. Auparavant, on protestait contre le pouvoir qui donnait des instructio­ns aux juges. Ici, on proteste contre un pouvoir judiciaire qui agit dans un cadre ordinaire ! Hier, lorsque le pouvoir n’était pas content de ses juges, il créait des juridictio­ns d’exception. Veut-on cela ? On peut critiquer les juges et je ne m’en prive pas, mais s’en prendre à l’institutio­n tout entière avec une telle violence est inacceptab­le.

Comme avocat de Dominique Strauss-Kahn, vous-même avez pourtant critiqué les juges et poursuivi des journalist­es pour leurs articles…

J’ai fait mon travail d’avocat. Cela passe par les recours, les cours d’appel, la Cour de Cassation… Dans le dossier du Carlton de Lille visant DSK, je disais que le juge se trompait mais je ne disais pas qu’il fallait le condamner ou qu’il n’avait pas à se mêler de cette a aire ! J’ai été entendu. Une relaxe a été prononcée par le tribunal correction­nel. Je ne conteste pas la critique des juges. Je conteste la critique globale et générale de la justice dans son rôle.

Un pas a été franchi par François Fillon. Son discours vis-à-vis de la justice est-il un signal grave ?

Oui, le fait que des gens n’acceptent pas l’autorité du pouvoir est préoccupan­t et grave. D’habitude, ce sont les révolution­naires qui se soulèvent face à la justice. Ici, ils le font à l’appui d’un cas particulie­r. La défiance envers l’institutio­n judiciaire me paraît mettre en cause les fondements de la République. Certes, ce n’est qu’une fraction et une minorité, celle de certains partisans de François Fillon et de Marine Le Pen. Mais c’est un pas vers l’extrême. C’est un signal grave. En matière de justice, il faut revenir aux fondamenta­ux. Il faut rappeler que la mise en examen n’est qu’une étape judiciaire mais n’est en rien une marque de culpabilit­é. C’est François Fillon lui-même qui a posé le principe qu’une mise en examen devrait se traduire par une démission. Il a lancé cette idée formidable [en a rmant « qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? », NDLR]. Or, même si l’opinion publique le pense, les hommes politiques ne doivent pas s’engouffrer dans cette brèche. Il faut rappeler que beaucoup de mises en examen peuvent se solder par un nonlieu, une relaxe ou un acquitteme­nt. Il faut accepter le jeu judiciaire.

Le magistrat Antoine Garapon estime que ce ne sont pas les juges qui sont devenus de nouveaux acteurs politiques mais les politiques qui sont devenus des justiciabl­es comme les autres. Est-ce un progrès ?

C’en est un sauf si l’ensemble de la classe politique était déstabilis­ée du fait des juges, mais ici ce sont les personnali­tés politiques qui se déstabilis­ent ellesmêmes ! Si des faits de corruption ou d’abus sont établis, il faut bien que la justice passe. Sans trêve. Imagine-t-on qu’il en soit autrement ? L’exemple de Jérôme Cahuzac est édifiant. Le fait qu’il soit ministre ou qu’il ait la confiance du président de la République aurait justifié qu’on suspende les poursuites ? Le peuple, quel qu’il soit, ne peut pas accepter une forme d’amnistie.

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