L'Obs

Planter des arbres

Où l’on voit un mollah se laisser emporter

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A la guerre sainte, on trouve toujours plus saint que soi.

Sur les photos, il porte la barbe et le turban. Il est conforme. C’est un vrai mollah. Pas n’importe lequel. Quand le chef des talibans a été frappé par un drone américain, l’année dernière, c’est lui qui l’a remplacé. Il est plutôt théologien que combattant, à ce qu’on dit. Dans une guerre sainte, ce n’est pas incompatib­le. Et pour être sainte, elle est sainte, la guerre que mènent les talibans en Afghanista­n. Le théologien vient de pointer le nez. Surprise, un de leurs chefs n’encourage pas les talibans à uniquement faire le kamikaze, à tuer filles qui vont à l’école et femmes en cheveux. Sortant d’une lecture du Coran et s’adressant en même temps aux civils et aux militaires de son mouvement, il leur a enjoint de planter des arbres. Comme s’il venait de lire Giono. « Pour la beauté de la Terre et pour la plus grande gloire d’Allah créateur tout-puissant, plantez arbres fruitiers et arbres d’ornement. » Le nom de cet écolo? Haibatulla­h Akhundzada. Entre les Américains qui ne font pas dans le détail et ses rivaux pour la tête de l’insurrecti­on armée, il risque de ne pas faire longtemps parler de lui. Vite, vite, Haibatulla­h Akhundzada, de grands et beaux attentats. Faut pas mollir, mollah.

Restons en Afghanista­n. Nous n’y allons pas si souvent. Ces deux-là n’étaient pas talibans, mollahs encore moins, ce qui ne les a pas empêchés de se retrouver à Guantanamo. Repérés par des incompéten­ts, ou dénoncés par des chasseurs de primes, les voilà enlevés par les Américains (encore eux), torturés, revêtus de la célèbre tenue orange et détenus sans procès pendant des années et des années. C’est là qu’ils ont fait connaissan­ce. Ghalib, commandant de police, avait été considéré comme un traître par les leaders du monde libre. Ce qu’il n’était apparemmen­t pas, puisque après cinq années de détention, lesdits leaders l’ont renvoyé dans son pays où il a repris sa place dans la police anti-insurgés. Au camp, il avait connu Muslim, ils faisaient des concours de poésie. Muslim, renvoyé lui aussi dans son pays, rempli de rancoeur, y a rejoint aussitôt l’Etat islamique. Il en est devenu un des meneurs. Ghalib et Muslim ne songent pas à planter des arbres. Ils ne songent qu’à se tuer l’un l’autre. Ils sont en bonne place pour y parvenir.

Le lecteur l’a-t-il remarqué ? Muslim n’a pas rejoint les talibans, c’est l’Etat islamique qu’il a rejoint. Depuis l’Irak, cet Etat auto-proclamé ne cesse de s’étendre et le voici en rivalité, pour s’en tenir à l’Afghanista­n, avec les talibans. A la guerre sainte, on trouve toujours plus saint que soi. Les talibans, eux aussi, songent à tuer Ghalib. A défaut, ils lui ont tué son frère, voilà trois ans. C’était un mort qui pouvait servir d’appât. Il n’y a pas manqué. On sait comment sont les familles. Se recueillen­t sur les tombes. Ghalib, méfiant, ne s’y rendait qu’inopinémen­t. Quand sa famille devait s’y recueillir, sa police prenait position. Vous savez ce qu’ils ont fait, les talibans? Quand personne ne surveillai­t la tombe, rappelle l’AFP, ils l’ont entourée d’explosifs qu’ils ont enterrés. D’un seul coup, dix-huit personnes avaient été tuées. Ghalib y a perdu une soeur, ses filles, un petit-fils. Ses deux épouses aussi sont mortes dans l’attentat. On ne lui avait pas appris, dans la police, que lorsqu’on a deux épouses, il ne faut pas les laisser sortir en même temps. D. D. T. Post-scriptum qui n’a rien à voir. – Jean-Christophe Averty. Il aura beaucoup déconné avec ses cadrages pour les festivals de jazz à la télévision. Mais pour le reste ! Et ses « Cinglés du music-hall » à la radio. Les survivants de « Hara-Kiri » savent ce qu’ils lui doivent, il a révélé au bon peuple, dans ses « Raisins verts », les deux inconnus qu’étaient alors Cavanna et le professeur Choron.

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