RAP FRANÇAIS : OÙ SONT LES FEMMES ?
Le collectif féministe la Barbe, qui surgit héroïquement partout où les femmes sont sous-représentées, devrait faire ses happenings militants chez les amateurs de rap. Leur plafond de verre est à triple épaisseur. Depuis Diam’s, aucune rappeuse n’a véritablement dominé la scène française. Et avant Diam’s, il n’y avait personne non plus. Il y a eu des faux départs. Keny Arkana, rappeuse altermondialiste, est restée marginale dans cet univers bling-bling hostile à la décroissance. Casey, ex-meilleur espoir féminin, a aujourd’hui 41 ans et donne des séminaires à NormaleSup (« Foucault est hardcore »), ce qui en dit long sur ses chances de succès auprès des adolescents, ces faiseurs de kings. Dans la jeune génération, on ne voit rien venir. Shay, protégée de Booba, fait dans le gangsta rap « phalliqueagressif », comme dirait l’anthropologue Georges Devereux. Elle se taille un joli succès sur YouTube, mais n’a pas l’ampleur de l’Américaine Nicki Minaj, qu’elle copie ouvertement. Sianna marche sur les brisées de la Britannique M.I.A. et de son dance-hall orientaliste, l’inventivité et la réussite en moins. « Il y a peu de rappeuses parce qu’il y a peu de femmes qui rappent, tautologise Laurent Bouneau, chargé de la programmation chez Skyrock. C’est compliqué d’assumer sa féminité dans ce milieu, de trouver une histoire à raconter. » Le rap est un genre musical viriliste, qui longtemps a relégué la femme au rang de chanteuse à refrains. Division du travail : l’homme parle, la femme vocalise. Aux Etats-Unis, quelquesunes, de Lil Kim à Missy Elliott, ont pu briser cette loi d’airain. Mais en France, la loi est appliquée plus durement : ici, le rap n’est pas tant un dérivé de la soul, comme chez les Américains, que de la chanson politique à texte, tradition notoirement moustachue. Derrida déplorait notre « phallogocentrisme », cette alliance entre le phallus et la prise de parole qui explique, peut-être, que les rappeuses aient du mal à faire entendre leur « différance ».