L'Obs

L’été 43

ET SI TU N’EXISTAIS PAS, PAR CLAIRE GALLOIS, STOCK, 144 P., 16,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

C’est un visage tordu par la douleur qui n’en finit pas de s’éloigner, de s’amenuiser et de disparaîtr­e dans la poussière blanche d’une petite route de la Creuse. On est au coeur de l’été 1943. Claire a 6 ans. Sa mère, qu’elle n’avait jamais vue, qui est venue la chercher comme si elle récupérait un paquet poste restante, la jette sur la banquette de sa belle Citroën 11 CV et, sans un bonjour ni un au revoir, démarre en vrombissan­t. A genoux, la tête collée à la lunette arrière, la petite Claire éplorée regarde sa nourrice Yaya tenter de poursuivre la voiture : « Yaya court en tendant les bras, sa bouche est ouverte sur des cris que l’on ne peut pas entendre. J’ai juste le temps de voir qu’elle jette son tablier noir sur la tête. » Cette image d’autrefois, où la sidération ajoute à la détresse, n’en finit pas de hanter Claire Renard, alias Claire Gallois (photo), la romancière d’« Une fille cousue de fil blanc », qui vient d’entrer dans sa 80e année et a longtemps attendu avant d’oser désigner sa blessure originelle. Née dans une famille de la grande bourgeoisi­e parisienne, accusée d’avoir rendu sa mère totalement sourde (elle fut victime d’une crise d’éclampsie pendant l’accoucheme­nt), Claire fut écartée et placée, à deux mois, chez une nourrice qui portait un nom résigné, Emilia Humily, et qu’elle appelait «Yaya ». Orpheline et bretonne, formée chez les religieuse­s à la broderie et au dévouement, Yaya se consacra à élever, avec un amour débordant, sa « Princesse », son « adorée », dans une petite maison de La Souterrain­e, où elle lui apprit à écouter le silence d’après la pluie et à saisir le bonheur d’avant l’orage. Une harmonie brisée lorsque sa mère l’enleva à ce petit paradis végétal et affectueux pour la propulser dans un appartemen­t de la rue de Courcelles, vaste de 17 pièces, où l’on ignorait avec ostentatio­n les disettes de l’Occupation, où les repas opulents étaient présidés par un père militaire et vichyssois flanqué d’un évêque satisfait, et où les soeurs, des pestes, faisaient comprendre à l’intruse qu’elle serait toujours le vilain petit canard. Un monde qu’elle a fui à sa majorité sans jamais perdre l’espoir de retrouver sa Yaya perdue. Le récit, bref, rageur, inflexible, et ponctué par des révélation­s sur le passé de son père, raconte cette quête obstinée dont on ne dévoilera pas l’épilogue bouleversa­nt, où une fille reniée par sa mère biologique dit adieu à la mère de substituti­on qu’elle n’a cessé d’aimer. Celle qui aurait voulu, écritelle, « naître sous X », mourra un jour, mais sous Y, comme Yaya.

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