La croix et la faucille
LA CONFESSION, PAR NICOLAS BOUKHRIEF. DRAME FRANÇAIS, AVEC ROMAIN DURIS, MARINE VACTH, ANNE LE NY (1H56).
On n’imaginait pas que l’« arnacoeur » Romain Duris porterait si bien la soutane ni que la jeune et jolie Marine Vacth, ex-égérie d’Yves Saint Laurent Beauté et de la joaillerie Chaumet, ferait une si convaincante communiste. On ne pensait pas davantage que Nicolas Boukhrief, le réalisateur de « Va mourire » et de « Made in France », s’installerait si naturellement dans un village français sous l’Occupation pour arbitrer, à hauteur d’homme, le combat amoureux que se livrent deux ferveurs, la catholique et la marxiste. Et on jugeait sinon tortueux, du moins casuistique, le projet d’adapter librement le beau roman autobiographique de Béatrix Beck, « Léon Morin, prêtre » (prix Goncourt 1952), tout en se gardant bien de faire un remake du film en noir et blanc de Jean-Pierre Melville, où s’affrontaient, pour mieux se séduire, Jean-Paul Belmondo en aube et Emmanuelle Riva en lévitation. En somme, devant cette « Confession », on était un peu agnostique. On avait tort. Malgré un préambule et un épilogue maladroits (était-il nécessaire qu’un jeune prêtre fût appelé au chevet, pour recueillir ses confidences, d’une Barny à l’agonie ?), le film de Boukhrief, baigné dans une lumière de vitrail et plongé dans une pénombre de sacristie, est inspiré. Cela tient à la justesse des dialogues, à la profondeur des regards, à la pudeur de la caméra et à l’interprétation des deux acteurs, qui semblent grandis par leurs rôles respectifs. Lui, Léon Morin, est un abbé qui, juste après l’exécution d’otages par les nazis, ose professer en chaire : « S’il me manque l’amour, je ne suis rien. » Elle, Barny, est une jeune communiste athée, dont le mari est prisonnier en Allemagne (dans le roman et la vie de Béatrix Beck, elle était veuve d’un juif tué en 1940). Il a la foi en Dieu, elle a la foi en l’homme. Il est enflammé, elle est « flambée ». Il prêche le Bien, elle le fait, en cachant des juifs. Il a un physique moral, elle a la beauté des âmes pures. Il brandit les Evangiles, elle tient que la religion, c’est l’opium du peuple, avant d’envisager de se convertir.
L’époque est noire, les deux, chacun à sa manière, l’éclairent et la soulagent. Cette rencontre spirituelle, idéelle, où seuls les corps se débattent dans le vide, Béatrix Beck la décrivait dans son roman avec une ardeur un peu canaille et une étonnante poésie théologique. On a compris que Nicolas Boukhrief a réussi à filmer ce qui est infilmable : l’amour absolu, débarrassé de tout ce qui l’encombre, l’abîme et le condamne. Disparue en 2008, Béatrix Beck, dont la petite-fille, la styliste Béatrice Szapiro, a dessiné le manteau que porte Marine Vacth, aurait sans doute trouvé son autoportrait bien ressemblant.