“ON NE PEUT PAS NE JAMAIS TENIR COMPTE DES PEUPLES !”
L’ex-ministre des Affaires étrangères propose une pause de l’intégration européenne et appelle à une Europe réformée
Satanés anniversaires ! Le 60e anniversaire du traité de Rome, qui sera « célébré » le 25 mars, survient alors que ni l’Europe ni son environnement international ne ressemblent en 2017 à ce qui était espéré. Les Européens sont pris de court devant ce monde semi-chaotique, et ne savent pas s’ils veulent d’une Europe puissante. Ils attendent les élections françaises et allemandes, et une éventuelle « initiative » à l’automne. Mais les peuples soutiennent de moins en moins l’intégration européenne voulue par les élites européistes : il y a des antieuropéens (minoritaires partout sauf en Grande-Bretagne), mais surtout des indi érents ou de simples sceptiques (60% d’abstentions aux élections au Parlement européen), des déçus qui ont attendu des miracles de l’Europe sociale, de l’Europe des citoyens, de l’Europe politique, voire de l’euro lui-même, et surtout des allergiques à ce que Jean-Claude Juncker a lui-même appelé la réglementation « intrusive » ou « à outrance ». Les pro-européens classiques (centre gauche, centre droit) sont minoritaires. Les européistes existent dans les élites mais ne comptent pas électoralement. Mais, dans une Europe adepte des commémorations jusqu’à la saturation, impossible de faire l’impasse sur celle du traité de Rome !
Que faire ? Pour les antieuropéens, il faut tout arrêter. Ils se nourrissent de toutes les frustrations balayées avec mépris par les élites mais n’ont pas de plan sérieux pour l’après. Une partie de la gauche radicale propose plus obliquement de reprendre le contrôle de l’euro via les Parlements nationaux des Etats membres. C’est nécessaire de rebrancher les Parlements nationaux dans le processus européen, mais créer un régime d’assemblée au niveau de la zone euro avec pour objectif de s’affranchir des fameux critères (d’invention française, faut-il le rappeler) et donc de toute discipline budgétaire en créant un nouveau niveau d’endettement, cela ne passera pas.
Les européens classiques, les européistes, les ministères des Finances espèrent encore éviter une remise en question radicale du système européen et pouvoir continuer dans la voie de l’intégration sans fin. Ils proposent d’élargir Erasmus (très bien), de doter la zone euro d’un budget conséquent (si les Allemands l’acceptent) et d’un ministère des Finances (idem) et, enfin, de compter sur l’Allemagne pour cette relance classique.
Tout cela peut se défendre et peut tenter des dirigeants obligés de dire quelque chose à Rome, mais ne ferait pas disparaître les raisons hétéroclites qui ont fait décrocher les peuples. « L’Europe à deux vitesses » non plus. Ce concept connu (Schengen, euro) n’est pas critiquable, quoi qu’en dise le groupe de Visegrad [Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie], mais n’assainit pas la question du rapport démocratique citoyen/Etats-nations/Union européenne.
C’est à la relance d’une Europe réformée qu’il faut oeuvrer. Comme l’a dit Wolfgang Schäuble, on ne peut pas ne jamais tenir compte des peuples ! Les élites doivent admettre que ce n’est pas dégoûtant que les peuples veuillent garder de l’identité, de la souveraineté et être en sécurité, et qu’ils ne souhaitent pas seulement de la croissance ! Je propose qu’une brève pause de l’intégration soit proclamée et que les gouvernements volontaires imposent aux institutions européennes une subsidiarité radicale : moins et mieux dans certains domaines, plus et autrement dans quelques autres, ce qui rejoint deux des options Juncker, en les combinant. Les tenants de l’intégration européenne craignent qu’une telle remise à plat ne casse tout. En fait, c’est l’entêtement à continuer à l’identique qui est dangereux. Même si la commémoration de Rome est décevante, trouver la bonne réponse aux demandes des peuples devra rester la priorité.
Hubert Védrine a publié fin 2016 « Sauver l’Europe ! », aux Editions Liana Levi.