L'Obs

EN FRANCE, À CHAQUE CANDIDAT SON EUROPE

Après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, la présidenti­elle française constitue un nouveau défi pour le projet européen. De Marine Le Pen à Emmanuel Macron, tous les prétendant­s à l’Elysée promettent des réformes de grande ampleur. Rev

- Par THÉOPHILE SIMON

DÉFENSE

Deux camps s’opposent. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon veulent tous deux sortir la France du commandeme­nt intégré de l’Otan et balaient l’idée de relancer le projet européen par une défense commune, que le candidat de La France insoumise juge être une « vision terrible et sans intérêt » et « tournée contre la Russie ».

Au contraire, Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon proposent davantage de coopératio­n européenne dans le domaine militaire (agence européenne de renseignem­ents, quartier général européen, mutualisat­ion des moyens lors des opérations extérieure­s, etc.). Aucun des trois, en revanche, ne s’avance vers l’idée d’une armée européenne.

IMMIGRATIO­N

Tous s’accordent sur une chose : il faut abandonner unilatéral­ement (Mélenchon, LePen) ou renégocier (Macron, Fillon, Hamon) la directive européenne sur les travailleu­rs détachés.

Le grand dessein du FN est la sortie de l’espace Schengen. Les candidats LR, PS et En Marche! souhaitent, eux, tous augmenter les moyens alloués à Frontex, l’agence chargée de la protection des frontières extérieure­s de l’UE. Jean-Luc

Mélenchon ne mentionne pas l’agence dans son programme, mais l’a attaquée dans un billet publié à l’été 2016, l’accusant de servir une politique migratoire taxée d’« Europe forteresse ».

Enfin, François Fillon propose de revoir les règles d’attributio­n du droit d’asile en Europe et de pouvoir exclure un pays de l’espace Schengen s’il faillit à contrôler ses frontières.

POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Les « grands » candidats veulent tendre vers davantage d’harmonisat­ion fiscale, sociale et budgétaire, mais leurs philosophi­es sont bien différente­s.

François Fillon plaide pour un sérieux budgétaire et ne compte pas remettre en question les traités fondateurs de l’Union. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon veulent, eux, changer le paradigme macroécono­mique européen. Mélenchon veut ainsi un moratoire sur le remboursem­ent de la dette et s’affranchir totalement du pacte de stabilité et des règles européenne­s encadrant les déficits tandis que Hamon veut annuler les dettes contractée­s entre pays européens après 2008 et « mettre l’austérité en minorité » en Europe (c’est-à-dire remettre en question l’ordolibéra­lisme allemand). Benoît Hamon souhaite également sortir les dépenses militaires de la règle des 3% du traité de Maastricht, point sur lequel il rejoint Emmanuel Macron, mais pas François Fillon, pour qui « une dette est une dette ».

Pas de suggestion­s notables chez Marine Le Pen, qui rejette en bloc la notion de politique européenne commune, notamment en matière économique.

POLITIQUE MONÉTAIRE

Vieille antienne des divergence­s européenne­s en matière de politique monétaire, l’indépendan­ce de la BCE est sans surprise visée par les principaux candidats, à l’exception d’Emmanuel Macron. Mélenchon est le plus explicite et veut « mettre fin à l’indépendan­ce de la BCE » pour – entre autres – dévaluer l’euro.

Hamon veut revoir les statuts de l’institutio­n basée à Francfort et l’autoriser à financer directemen­t la dette des Etats de la zone euro. Le candidat socialiste suggère par ailleurs la création d’un gouverneme­nt de la zone monétaire doté d’un budget, à l’instar du candidat d’En Marche !. Macron souhaite en effet la création d’un Parlement de la zone euro où siégeraien­t des députés nationaux dont la mission principale serait de voter un budget annuel orienté vers l’investisse­ment, plus ambitieux que l’actuel plan Juncker (500 milliards d’euros).

Pour François Fillon, il faut changer les règles monétaires à travers le prisme de « l’Europe des nations » : mise en place d’un directoire politique de la zone euro composé des chefs de gouverneme­nt, dont le but serait de réduire les pouvoirs de la Commission européenne.

Marine LePen préconise un retour au franc, tout en conservant une unité de compte européenne pour les transactio­ns entre grandes entreprise­s sur le modèle de l’ECU, qui a précédé l’euro à partir des années 1980. Proposer ce retour à l’ECU permet à Marine Le Pen de ne pas avoir à prononcer l’expression fatidique « sortie de l’euro ». Mais ce retour à l’ECU signifiera­it la dislocatio­n de l’Union politique et monétaire.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

En matière de politique commercial­e européenne, les positions sont assez claires : Marine LePen, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon sont contre le traité de libreéchan­ge UE-Canada (Ceta) et contre le traité UE - Etats-Unis (Tafta). François Fillon est contre le Tafta, mais il a adopté une position ambiguë sur le Ceta. Il a déclaré « être pour si les règles sont identiques et respectées par tous, mais ce n’est pas le cas ». Comprenne qui pourra. Macron est, lui, favorable aux deux traités commerciau­x.

Les sanctions commercial­es adoptées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie sont un autre point de clivage. Favorables à un réchauffem­ent des relations avec la Russie de Vladimir Poutine et à une levée des sanctions : Marine Le Pen, JeanLuc Mélenchon et François Fillon.

Emmanuel Macron et Benoît Hamon ne sont pas aussi directs. Le candidat socialiste est avant tout soucieux d’éviter la formation d’un axe Trump-Poutine –qui serait « la fin du monde ». Selon Emmanuel Macron, la Russie ne « partage pas » les valeurs européenne­s. Il s’était cependant montré favorable à une rapide levée des sanctions en janvier 2016, alors qu’il était encore ministre de l’Economie.

CONSTRUCTI­ON EUROPÉENNE

Marine Le Pen est la seule candidate à proposer un « Frexit » pur et simple. Jean-Luc Mélenchon envisage aussi cette hypothèse, mais uniquement en cas d’échec de la France à refonder les traités européens qui « retirent toute liberté d’action ». Benoît Hamon propose, comme le candidat de La France insoumise, de refonder les traités européens pour aller, notamment, vers plus d’harmonisat­ion sociale et fiscale, mais il ne veut pas « briser le rêve européen ».

François Fillon et Emmanuel Macron ne modifierai­ent pas les traités, mais avancent quelques idées pour relancer l’idéal européen. Macron propose la généralisa­tion des Erasmus aux apprentis et le lancement dans toute l’UE de convention­s démocratiq­ues. Le candidat LR suggère, lui, de créer un fonds monétaire européen, de mettre fin à « l’inflation normative » de la Commission européenne. Il propose aussi de mettre officielle­ment fin à la procédure d’adhésion de la Turquie à l’UE, ouverte en 1987.

Pour ce qui concerne le couple francoalle­mand, Fillon et Macron veulent appuyer leur stratégie européenne sur des relations fortes entre les deux pays. En clair : pas de conflit avec notre voisin germanique. De son côté, Mélenchon annonce une discussion « rude » avec la chancelièr­e allemande, qu’il accuse d’être la responsabl­e de l’austérité européenne et de la crise grecque.

ÉCOLOGIE

Benoît Hamon propose de relancer l’Europe par l’écologie avec un plan de 1 000 milliards d’euros centré sur la transition énergétiqu­e. Emmanuel Macron propose, lui, de créer un marché unique du carbone avec un prix plancher, et François Fillon, de « mettre en place une véritable Europe de l’énergie » grâce à « une stratégie nucléaire modernisée alliée au développem­ent des énergies alternativ­es ». Marine LePen avance des propositio­ns en matière d’écologie semblables à celles du candidat LR, mais uniquement à l’échelle de la France. Enfin, Jean-Luc Mélenchon propose notamment de refonder la politique agricole commune (PAC) pour « garantir l’agricultur­e écologique et paysanne ».

MARINE LE PEN EST LA SEULE À PROPOSER UN “FREXIT” PUR ET SIMPLE.

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