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ENTRE EUX, PAR RICHARD FORD, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR JOSÉE KAMOUN, L’OLIVIER, 192 P., 19,50 EUROS.
« Je ne me souviens pas que mon père m’ait appris grand-chose, sauf à monter à bicyclette ou à manoeuvrer le levier de vitesses de sa Ford. Il ne m’a pas appris à lire et je ne me rappelle même pas qu’il m’ait jamais fait la lecture. Il ne m’a jamais appris à faire des noeuds, à chasser, à tirer au fusil, à démarrer un feu de camp, à changer une bougie ou un pneu. » Triste bilan que tire Richard Ford dans ce récit autobiographique qu’il consacre à son enfance et à ceux qui furent ses parents. « Il ne m’a pas emmené au cinéma ni à la piscine, écrit-il encore. Il ne m’a pas parlé du sexe, ni des filles, ni de religion, ni de ses soucis personnels, ni de l’actualité, ni de la politique… » Pourtant, Richard Ford a toujours aimé son père. Et lorsqu’il évoque sa grande carcasse, bedonnante sur la fin, au volant de la voiture de luxe qu’il avait fini par s’offrir, quelques mois avant sa mort, une Oldsmobile 88, modèle d’exposition anthracite avec un toit rose, on sent que le romancier américain n’a jamais cessé, bien après sa disparition, de penser à lui. Dans « Entre eux », l’auteur d’« Indépendance », même regard bleu turquoise que son paternel, ressuscite Parker, un représentant de commerce qui passait le plus clair de sa vie sur la route. Employé modèle de la Faultless Company (la société « impeccable »), apprécié pour la modicité des frais que ses déplacements professionnels occasionnaient (son compteur ne dépassant jamais les 90, ce qui usait moins d’essence), Parker sillonnait l’Arkansas, la Louisiane, l’Alabama en vendant de l’amidon de blanchisserie. Il ne possédait aucun charisme particulier, mais il était heureux en ménage, et sa femme, Edna, la mère de Richard, l’accompagnait dans ses tournées. Ils adoraient se retrouver sur la route, avant qu’un nouveau-né ne vienne entraver leur liberté. Sans doute auraient-ils aimé vieillir ainsi ensemble, voyageurs sans attache, si Richard n’avait eu la mauvaise idée de venir au monde.
On se souvient de « Canada », formidable best-seller de Ford où les parents du jeune héros se déchiraient volontiers – le père, vétéran séduisant qui n’arrivait à rien dans la vie, et la mère, juive insatisfaite, brillante intellectuellement. Rien de si flamboyant dans le foyer de l’auteur, qui raconte avec une émotion communicative comment ses parents prospérèrent modestement jusqu’à ce que son père meure un jour dans son lit, après que son fils eut tenté un bouche-à-bouche de la dernière chance. Mais Richard Ford en aura fait l’inépuisable matrice de son oeuvre exceptionnelle.