Robin Campillo
Avec “120 Battements par minute”, Grand Prix du jury, le réalisateur signe ce qui restera comme LE film du 70e Festival de Cannes
1 VÉCU Dans « 120 Battements par minute » (sortie en salles le 23 août), Robin Campillo s’inspire de ses souvenirs de militant au sein d’Act Up-Paris au début des années 1990. Epoque d’avant les trithérapies, dite de l’hécatombe, où il était urgent de dénoncer l’inertie du gouvernement et de faire accélérer la recherche.
2 PALME Du premier samedi du festival jusqu’au soir du palmarès, « 120 Battements par minute » n’a pas quitté les esprits, ni le haut des pronostics. D’où la déception, palpable dans la salle, lorsque lui a été remis le Grand Prix du jury, et la standing ovation digne d’une palme d’or qui a accueilli Robin Campillo sur scène.
3 ORIGINES Né à Mohammédia, au Maroc, Robin Campillo, 54 ans, a grandi à Aix-en-Provence. Il est diplômé de l’Idhec (devenu la Fémis). C’est là qu’il a rencontré Laurent Cantet, dont il a coscénarisé tous les films, parmi lesquels « Entre les murs », palme d’or en 2008. Réalisateur du long-métrage « les Revenants » (2004), à l’origine de la série du même nom, il a aussi signé le remarquable « Eastern Boys » (2014).
ACT UP Modelé sur son homonyme américain, créé deux ans plus tôt, Act Up-Paris est né en 1989 à l’initiative, entre autres, de Didier Lestrade et de Philippe Mangeot, coscénariste du film. Fer de lance de la communauté LGBT française, le mouvement luttait pour les droits des minorités – homosexuels, toxicomanes, prisonniers, migrants… – les plus touchées par le sida.
5 CENDRES Les personnages de « 120 Battements par minute » sont des composites d’individus réels. Nathan (Arnaud Valois), le néophyte séronégatif qui n’a pas baisé pendant cinq ans par peur de la maladie, est un quasi-alter ego de Campillo. Sean (Nahuel Perez Biscayart), le va-t-en-guerre queer, est inspiré de Cleews Vellay, président d’Act Up-Paris de 1992 à 1994. Vellay voulait que ses cendres servent à des fins militantes: elles furent déversées sur les participants d’un congrès d’assureurs.
6 SANG Les membres d’Act Up nourrissaient deux fantasmes: mettre une capote sur l’obélisque de la Concorde et teinter la Seine en rouge sang. « L’obélisque, on a réussi, tout le monde l’a vu, a expliqué Robin Campillo. J’ai préféré, grâce au cinéma, réaliser ce qu’on n’est jamais parvenu à faire. » Longtemps, chaque 1er décembre, journée mondiale contre le sida, des militants ont vidé des bidons de colorants dans la Seine. Sans résultat. Campillo corrige ce manque en offrant une vision dévastatrice du fleuve couleur carmin traversant Paris telle l’artère d’un corps (social) contaminé.
7 HYMNE « Smalltown Boy », le tube des Bronski Beat, est la chanson emblématique du film. « Elle a été pour ma génération un point de ralliement très fort », explique Campillo. Très impliqué dans Act Up, son chanteur, Jimmy Somerville, donna des concerts pour lever des fonds et prêta son appartement parisien pour des réunions.
8 DOIGTS Campillo montre le rituel insolite qui ponctuait les réunions hebdomadaires d’Act Up: on n’applaudissait pas, on claquait des doigts. « Ainsi, on pouvait continuer à parler pendant que les gens exprimaient leur approbation, raconte un ex d’Act Up. On n’avait pas de temps à perdre, il fallait aborder le plus de sujets possible. »
9 BARBARA Parmi les autres personnalités passées par Act Up, on compte les réalisateurs Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Christian Poveda et la future ministre Emmanuelle Cosse, première présidente hétéro de l’association. Fort soutien d’Act Up, la chanteuse Barbara lui a offert les droits de sa chanson « le Couloir ».
10 LARMES Jessica Chastain était en pleurs au bout de vingt minutes du film. Autre membre du jury, Agnès Jaoui n’a pas caché sa fierté de remettre le prix à Campillo. Le président Pedro Almodóvar, lui, a déclaré : « Je ne peux pas aimer un autre film davantage que celui-là. Il parle de ceux qui ont perdu la vie et de ceux qui voulaient empêcher que ceux-ci la perdent. » Puis, versant une larme : « Mais c’était un jury démocratique et je ne représente qu’un neuvième de ce jury. » Lequel, pour la palme d’or, a préféré à l’humanisme de ce grand film contemporain l'épate-bourgeois d’une farce de petit malin (« The Square », du Suédois Ruben Östlund).