L'Obs

Le jackpot du MoDem

Le parti dirigé par François Bayrou vivotait depuis des années. Son accord électoral avec le chef de l’Etat devrait lui permettre d’avoir un groupe à l’Assemblée et l’argent qui va avec…

- Par NATHALIE FUNÈS

Cette fête-là est passée inaperçue. Elle a été plus discrète que celle de La Rotonde, boulevard du Montparnas­se, où les proches de Macron avaient célébré les résultats du premier tour, avec son ballet de chauffeurs, sa salle privatisée et son parterre hétéroclit­e de vedettes du showbiz et de la politique. Cela s’est passé deux semaines plus tard, dans une brasserie moins huppée, à La Terrasse du 7e, place de l’Ecole-Militaire. Il y avait là François Bayrou, le patron du MoDem, Marielle de Sarnez, son fidèle lieutenant, Marc Fesneau, le secrétaire général, Jean-Louis Bourlanges, l’ami de toujours, Jacqueline Gourault, la sénatrice de Loir-et-Cher… Le clan Bayrou au grand complet y a célébré la victoire de Macron, mais surtout la sienne. La fête a duré jusque tard dans la nuit.

Champagne au MoDem! Cet avatar de l’ancienne UDF était devenu un parti réduit à peau de chagrin. Six permanents, une poignée d’élus, 12 000 militants selon les chiffres officiels. Il a touché le jackpot avec la présidenti­elle. Trois ministères : la Justice, qui revient à François Bayrou, les Affaires européenne­s à Marielle de Sarnez (visée par une enquête préliminai­re concernant l’emploi d’une assistante parlementa­ire) et la Défense à l’eurodéputé­e Sylvie Goulard. Et surtout 90 candidats aux législativ­es. Ils auront le privilège de concourir sous la bannière La République en Marche, au plus haut dans les sondages. Mais tous ont bien pris soin de s’inscrire en préfecture sous l’étiquette MoDem, pour que les centaines de milliers d’euros d’argent public qui devraient tomber au titre du financemen­t de la vie politique bénéficien­t bien au parti centriste (1). Entre 30 et 50 prétendant­s sont susceptibl­es d’être élus. Le MoDem devrait avoir son groupe à l’Assemblée. « C’est l’affaire du siècle », résume Jean Arthuis.

L’ancien ministre de l’Economie et patron de la petite Alliance centriste est pourtant tombé de sa chaise à la mi-mai: « sa » candidate, Valérie Hayer, qu’il a poussée dans son ancienne circonscri­ption de la Mayenne, avait mystérieus­ement disparu de la liste des investitur­es pour les législativ­es, publiée quarante-huit heures auparavant par En Marche ! Arthuis a beau lire et relire la liste de haut en bas et de bas en haut, plus de Valérie Hayer. Le nom de la conseillèr­e générale de Mayenne a été purement et simplement supprimé… Coup de fil furieux de l’eurodéputé centriste à Jean-Paul Delevoye, le président de la commission nationale d’investitur­e, qui, depuis des semaines, vante la sélection impitoyabl­e des futurs candidats: renouvelle­ment, parité, probité, pas plus de trois

mandats, un casier judiciaire vierge, un curriculum vitae à envoyer, une lettre de motivation, un entretien… Finalement, Valérie Hayer sera remplacée par la maire MoDem de Courbeveil­le. Un petit tour de passe-passe comme il y en a eu partout en France. Conclusion de Jean Arthuis, dans un tweet, le 17 mai : « Je croyais que les investitur­es étaient délivrées par la commission nationale d’investitur­e. En fait, c’est le MoDem. Humiliatio­n. »

Tout s’est en réalité joué le 11 mai très précisémen­t. Sur les 428 candidatur­es annoncées ce jour-là, « seules » 38 sont estampillé­es MoDem. François Bayrou pousse un coup de gueule. Le Béarnais avait renoncé à se présenter à la présidenti­elle et apporté son soutien à Emmanuel Macron le 22 février. Il s’estime injustemen­t récompensé. Il parle d’« accord foulé aux pieds », promet qu’il ne laissera « pas faire ça ». La très officielle commission nationale d’investitur­e remet le bébé entre les mains de Gérard Collomb, nouveau ministre de l’Intérieur, côté macroniste­s, et Michel Mercier, ex-trésorier du MoDem, côté centristes. Les deux hommes sont lyonnais, anciens sénateurs du Rhône, et trouvent plus simple de se réunir à la mairie, place de la Comédie, au coeur de la capitale des Gaules, pour établir la nouvelle liste. De leurs conciliabu­les sort une cinquantai­ne de nouveaux noms labellisés MoDem. « Nous avons fait nos choix en fonction de nos propres critères, indique Michel Mercier. Mais ils se rapprochen­t beaucoup de ceux de La République en Marche. La jeunesse, la probité, l’implantati­on locale… » Marielle de Sarnez, 66 ans, est investie à Paris malgré ses quatre mandats au Parlement européen. Jean-Louis Bourlanges, 70 ans, décroche la 12e circonscri­ption des Hauts-de-Seine, alors qu’il a été, lui aussi, député européen à quatre reprises. « Je n’ai pas été reçu par la commission, je n’ai pas envoyé mon CV, ni mon casier judiciaire, confirme le candidat. Le quota Bayrou a échappé à la procédure de sélection de La République en Marche. »

La pilule est parfois dure à avaler dans le camp des macroniste­s. « Le fameux esprit d’En Marche! supporte visiblemen­t quelques exceptions, soupire l’un d’eux. Cela relève de la tambouille politique. » Une dizaine de fidèles du mouvement d’Emmanuel Macron ont ainsi décidé de se présenter contre les candidats du MoDem. Marielle de Sarnez et Patrick Mignola, vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, affrontero­nt ainsi des « marcheurs » dissidents.

Bayrou a-t-il été trop bien servi? « Il a apporté 4 à 5 points de bonus à Emmanuel Macron, analyse Jérôme Fourquet, de l’Ifop. Le candidat d’En Marche ! était alors sur un faux plat [après ses propos controvers­és sur la colonisati­on en Algérie, “crime contre l’humanité”, et la France de La Manif pour tous “humiliée”, NDLR]. Le soutien de Bayrou l’a installé dans la position du qualifiabl­e, du réceptacle du vote utile, du vainqueur potentiel. Sa candidatur­e a été lestée, sa campagne redynamisé­e. » Ce sont ces 4 à 5 points de bonus (sur un total de 24% obtenus par Emmanuel Macron au premier tour) que François Bayrou a cherché à valoriser. Son calcul était simple : un cinquième des voix, cela vaut un cinquième des candidats à l’Assemblée, une centaine d’investitur­es. CQFD.

« Le job de Bayrou, c’est d’être candidat à la présidenti­elle, raconte un ancien du parti centriste. Il l’a été trois fois de suite. Cela fait vingt ans qu’il n’avait pas été ministre, il n’est même plus député, il existe parce qu’il se présente tous les cinq ans à l’Elysée. Cette fois-ci, il a enfin trouvé le moyen de transforme­r son poids personnel en force politique. Le MoDem ne pesait plus rien, il ne produisait pas d’idées, ne formait pas d’élus, ni de cadres, c’était devenu la petite épicerie de François Bayrou et de Marielle de Sarnez, leur machine de guerre perso. La pérennité du mouvement est désormais assurée. » Pas de dettes, des locaux propriété du parti, partiellem­ent loués à des experts-comptables depuis 2012, « un léger excédent budgétaire cette année », selon Marc Fesneau, une gestion à l’économie, peu de dépenses… S’en sera donc fini des vaches maigres.

En attendant, il n’y a plus personne dans les bureaux du MoDem. Les militants les plus investis sont tous candidats aux législativ­es. Les rares permanents sont partis dans les ministères, dont la responsabl­e de la communicat­ion, qui a suivi François Bayrou à la Justice. La demoiselle qui fait désormais office d’attachée de presse, mais aussi, parfois, d’hôtesse d’accueil et de standardis­te, est un peu désarmée face aux questions des journalist­es. « Désolée, je ne peux pas vous répondre. Vous savez, nous sommes en pleine reconstruc­tion. » (1) Le financemen­t des élections législativ­es se fait en deux volets. Le parti touche 1,42 euro par voix obtenue (chaque année, pendant cinq ans) si le seuil de 1% des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscri­ptions est dépassé. Il touche également 37 280 euros en moyenne par élu.

 ??  ?? François Bayrou, en marche vers la cérémonie d’investitur­e d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le 14 mai.
François Bayrou, en marche vers la cérémonie d’investitur­e d’Emmanuel Macron à l’Elysée, le 14 mai.
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