Le jackpot du MoDem
Le parti dirigé par François Bayrou vivotait depuis des années. Son accord électoral avec le chef de l’Etat devrait lui permettre d’avoir un groupe à l’Assemblée et l’argent qui va avec…
Cette fête-là est passée inaperçue. Elle a été plus discrète que celle de La Rotonde, boulevard du Montparnasse, où les proches de Macron avaient célébré les résultats du premier tour, avec son ballet de chauffeurs, sa salle privatisée et son parterre hétéroclite de vedettes du showbiz et de la politique. Cela s’est passé deux semaines plus tard, dans une brasserie moins huppée, à La Terrasse du 7e, place de l’Ecole-Militaire. Il y avait là François Bayrou, le patron du MoDem, Marielle de Sarnez, son fidèle lieutenant, Marc Fesneau, le secrétaire général, Jean-Louis Bourlanges, l’ami de toujours, Jacqueline Gourault, la sénatrice de Loir-et-Cher… Le clan Bayrou au grand complet y a célébré la victoire de Macron, mais surtout la sienne. La fête a duré jusque tard dans la nuit.
Champagne au MoDem! Cet avatar de l’ancienne UDF était devenu un parti réduit à peau de chagrin. Six permanents, une poignée d’élus, 12 000 militants selon les chiffres officiels. Il a touché le jackpot avec la présidentielle. Trois ministères : la Justice, qui revient à François Bayrou, les Affaires européennes à Marielle de Sarnez (visée par une enquête préliminaire concernant l’emploi d’une assistante parlementaire) et la Défense à l’eurodéputée Sylvie Goulard. Et surtout 90 candidats aux législatives. Ils auront le privilège de concourir sous la bannière La République en Marche, au plus haut dans les sondages. Mais tous ont bien pris soin de s’inscrire en préfecture sous l’étiquette MoDem, pour que les centaines de milliers d’euros d’argent public qui devraient tomber au titre du financement de la vie politique bénéficient bien au parti centriste (1). Entre 30 et 50 prétendants sont susceptibles d’être élus. Le MoDem devrait avoir son groupe à l’Assemblée. « C’est l’affaire du siècle », résume Jean Arthuis.
L’ancien ministre de l’Economie et patron de la petite Alliance centriste est pourtant tombé de sa chaise à la mi-mai: « sa » candidate, Valérie Hayer, qu’il a poussée dans son ancienne circonscription de la Mayenne, avait mystérieusement disparu de la liste des investitures pour les législatives, publiée quarante-huit heures auparavant par En Marche ! Arthuis a beau lire et relire la liste de haut en bas et de bas en haut, plus de Valérie Hayer. Le nom de la conseillère générale de Mayenne a été purement et simplement supprimé… Coup de fil furieux de l’eurodéputé centriste à Jean-Paul Delevoye, le président de la commission nationale d’investiture, qui, depuis des semaines, vante la sélection impitoyable des futurs candidats: renouvellement, parité, probité, pas plus de trois
mandats, un casier judiciaire vierge, un curriculum vitae à envoyer, une lettre de motivation, un entretien… Finalement, Valérie Hayer sera remplacée par la maire MoDem de Courbeveille. Un petit tour de passe-passe comme il y en a eu partout en France. Conclusion de Jean Arthuis, dans un tweet, le 17 mai : « Je croyais que les investitures étaient délivrées par la commission nationale d’investiture. En fait, c’est le MoDem. Humiliation. »
Tout s’est en réalité joué le 11 mai très précisément. Sur les 428 candidatures annoncées ce jour-là, « seules » 38 sont estampillées MoDem. François Bayrou pousse un coup de gueule. Le Béarnais avait renoncé à se présenter à la présidentielle et apporté son soutien à Emmanuel Macron le 22 février. Il s’estime injustement récompensé. Il parle d’« accord foulé aux pieds », promet qu’il ne laissera « pas faire ça ». La très officielle commission nationale d’investiture remet le bébé entre les mains de Gérard Collomb, nouveau ministre de l’Intérieur, côté macronistes, et Michel Mercier, ex-trésorier du MoDem, côté centristes. Les deux hommes sont lyonnais, anciens sénateurs du Rhône, et trouvent plus simple de se réunir à la mairie, place de la Comédie, au coeur de la capitale des Gaules, pour établir la nouvelle liste. De leurs conciliabules sort une cinquantaine de nouveaux noms labellisés MoDem. « Nous avons fait nos choix en fonction de nos propres critères, indique Michel Mercier. Mais ils se rapprochent beaucoup de ceux de La République en Marche. La jeunesse, la probité, l’implantation locale… » Marielle de Sarnez, 66 ans, est investie à Paris malgré ses quatre mandats au Parlement européen. Jean-Louis Bourlanges, 70 ans, décroche la 12e circonscription des Hauts-de-Seine, alors qu’il a été, lui aussi, député européen à quatre reprises. « Je n’ai pas été reçu par la commission, je n’ai pas envoyé mon CV, ni mon casier judiciaire, confirme le candidat. Le quota Bayrou a échappé à la procédure de sélection de La République en Marche. »
La pilule est parfois dure à avaler dans le camp des macronistes. « Le fameux esprit d’En Marche! supporte visiblement quelques exceptions, soupire l’un d’eux. Cela relève de la tambouille politique. » Une dizaine de fidèles du mouvement d’Emmanuel Macron ont ainsi décidé de se présenter contre les candidats du MoDem. Marielle de Sarnez et Patrick Mignola, vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, affronteront ainsi des « marcheurs » dissidents.
Bayrou a-t-il été trop bien servi? « Il a apporté 4 à 5 points de bonus à Emmanuel Macron, analyse Jérôme Fourquet, de l’Ifop. Le candidat d’En Marche ! était alors sur un faux plat [après ses propos controversés sur la colonisation en Algérie, “crime contre l’humanité”, et la France de La Manif pour tous “humiliée”, NDLR]. Le soutien de Bayrou l’a installé dans la position du qualifiable, du réceptacle du vote utile, du vainqueur potentiel. Sa candidature a été lestée, sa campagne redynamisée. » Ce sont ces 4 à 5 points de bonus (sur un total de 24% obtenus par Emmanuel Macron au premier tour) que François Bayrou a cherché à valoriser. Son calcul était simple : un cinquième des voix, cela vaut un cinquième des candidats à l’Assemblée, une centaine d’investitures. CQFD.
« Le job de Bayrou, c’est d’être candidat à la présidentielle, raconte un ancien du parti centriste. Il l’a été trois fois de suite. Cela fait vingt ans qu’il n’avait pas été ministre, il n’est même plus député, il existe parce qu’il se présente tous les cinq ans à l’Elysée. Cette fois-ci, il a enfin trouvé le moyen de transformer son poids personnel en force politique. Le MoDem ne pesait plus rien, il ne produisait pas d’idées, ne formait pas d’élus, ni de cadres, c’était devenu la petite épicerie de François Bayrou et de Marielle de Sarnez, leur machine de guerre perso. La pérennité du mouvement est désormais assurée. » Pas de dettes, des locaux propriété du parti, partiellement loués à des experts-comptables depuis 2012, « un léger excédent budgétaire cette année », selon Marc Fesneau, une gestion à l’économie, peu de dépenses… S’en sera donc fini des vaches maigres.
En attendant, il n’y a plus personne dans les bureaux du MoDem. Les militants les plus investis sont tous candidats aux législatives. Les rares permanents sont partis dans les ministères, dont la responsable de la communication, qui a suivi François Bayrou à la Justice. La demoiselle qui fait désormais office d’attachée de presse, mais aussi, parfois, d’hôtesse d’accueil et de standardiste, est un peu désarmée face aux questions des journalistes. « Désolée, je ne peux pas vous répondre. Vous savez, nous sommes en pleine reconstruction. » (1) Le financement des élections législatives se fait en deux volets. Le parti touche 1,42 euro par voix obtenue (chaque année, pendant cinq ans) si le seuil de 1% des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions est dépassé. Il touche également 37 280 euros en moyenne par élu.