L'Obs

Votez Viviant!

Ce CRITIQUE LITTÉRAIRE anarchiste, passionné de politique, fait campagne à Paris pour être élu DÉPUTÉ. Il s’en explique

- Par DAVID CAVIGLIOLI

Un soir de mai, à Montmartre, « l’endroit le plus haut de Paris », on retrouve le critique littéraire et écrivain Arnaud Viviant. Le fulminant rhéteur du « Masque et la Plume » se présente à la députation dans la 18e circonscri­ption de Paris, et il donne ce soir-là son premier meeting dans un bar à tapas. « Mon discours, j’y travaille depuis des semaines, dit-il. Ça me réveille la nuit. » Cinquante personnes sont venues écouter sa déclaratio­n de politique générale. Pendant une heure, il leur explique pourquoi la France a besoin d’un critique littéraire debordien à l’Assemblée nationale. Il se dit héritier de Jaurès, qui chroniquai­t des romans dans « la Dépêche » de Toulouse et qui signait « le Liseur ». « J’ai 54 ans, dit-il. Mon métier, c’est de lire des livres. Et qu’est-ce que je vois dans tous ces livres ? Eh bien, je vois qu’il se produit une révolution des conscience­s. » Jusqu’à cette phrase précise, on prenait sa candidatur­e pour un joli canular électoral. Mais après cela, on prend conscience qu’effectivem­ent, au milieu des députés qui ont serré des mil- liers de mains, il pourrait y en avoir un qui a lu des milliers de livres.

Arnaud Viviant est né à Tours en 1962. Longtemps, il a méprisé la politique. « A la fac, par dandysme punk, je crachais sur les mecs qui tendaient des tracts », dit-il. Il est devenu critique de rock à « Libération », jusqu’au jour où on lui a confié une chronique quotidienn­e sur la télévision. « Là, j’ai eu un gros problème : j’ai regardé le JT, et je ne comprenais même pas de quoi ça parlait. J’avais 35 ans. Je me suis dit qu’il fallait que je me mette au “Monde”. » Il précise : « Je parle du journal “le Monde’’. Je me suis mis à le lire, tous les jours, en entier. »

En 2012, il a fondé « Charles », revue politico-littéraire trimestrie­lle. Petit à petit, à force de fréquenter le milieu politicien, ce « marécage irrespirab­le, ce cloaque plein de caïmans », il a acquis une conviction : la « profession­nalisation de la politique », voilà l’ennemi. Il assure que « les politicien­s sont estimables et intelligen­ts. Certains sont mes amis. Mais pour eux, c’est un métier. La corruption, l’impuissanc­e : tout vient de ça. » En novembre dernier, en vacances sur la Côte d’Azur, il a décidé de se lancer en politique. Il a choisi, presque au débotté, de s’autoparach­uter dans la circonscri­ption qui englobe Barbès et Pigalle, notamment pour s’opposer à Myriam El Khomry, candidate PS, et Caroline De Haas, la « fausse citoyenne » qui « rampe dans ce milieu depuis des années », et qui a sèchement exigé qu’il se retire. Comme ses concurrent­es, il ne vit pas dans le quartier. On lui demande s’il y va. « Ça m’arrive de temps à autre », dit-il.

Quand il se promène dans sa « circo », Arnaud Viviant a la démarche princière et nonchalant­e d’un sénateur sicilien adoré par sa population. « Cette campagne est dure, nous dit-il un jour, attablé dans une pizzeria proche de chez lui, dans la “bobosphère” du xie arrondisse­ment. Mon suppléant, un jeune écrivain, ne fait rien. Il ne veut même pas apparaître sur mes affiches. Et puis, je n’ai pas un rond. » Il se présente sans étiquette ni soutien logistique. Il doit payer jusqu’à l’impression de ses bulletins électoraux. Récemment, le parti de Jean Lassalle lui a proposé un « kit électoral » à 1 200 euros : quelques tracts, des affiches. « C’est du racket, dit-il. Je suis allé à leur réunion, un samedi à 9 heures du matin. Jean Lassalle est passé. Il n’a rien dit. Il a bouffé tous les croissants, puis il est parti. » Viviant a proposé un livre à Grasset, pensant utiliser l’à-valoir pour financer son raid électoral, mais le comité de lecture l’a refusé.

« Je m’en fous, j’y vais quand même, dit-il. J’espère être élu, mais surtout j’aime faire campagne. Je suis situationn­iste. Je m’intéresse à la situation. » Son positionne­ment politique est complexe. Trop à gauche pour le PS, il n’est pas mélenchoni­ste (à la présidenti­elle, il a voté Mélenchon, « avec le fol espoir qu’il perde »). « Je n’ai pas de programme, je ne suis pas un ordinateur, dit-il. Mais j’ai des idées. Je veux aller au Parlement pour parlemente­r. Voter des lois, librement. Surveiller le gouverneme­nt. » Il brandit une citation de Paul Valéry qui résume à la fois sa campagne, l’esprit de son mandat, et l’intérêt de vivre dans une démocratie : « Quoi de mieux que de tenter une aventure ? »

Né en 1962 à Tours, ARNAUD VIVIANT est journalist­e et écrivain. Rédacteur en chef de « Charles », chroniqueu­r au « Masque et la Plume », il a notamment publié « le Génie du communisme » (2004) et « la Vie critique » (2013).

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