ONFRAY ET LE CONSPIRATIONNISME EN CONTREBANDE
L’accusation de conspirationnisme peut injustement disqualifier un adversaire et ce terme ne doit pas servir de repoussoir à toute tentative de critique du monde. Cette mise en garde ne doit pas autoriser non plus l’impunité intellectuelle dans ce domaine. Certains, avant de développer leur rhétorique, prennent soin de l’introduire en disant : « Evidemment, on va m’accuser de complotisme. » Cette tactique en forme de prétérition, Michel Onfray n’hésite pas à en user dans sa dernière vidéo : « Les loups sont entrés dans Paris. » Un monologue où il propose de nous livrer son interprétation de l’élection présidentielle. En avertissant que quiconque désigne la machine de guerre capitaliste passe pour un complotiste, l’intellectuel abuse du sophisme de l’épouvantail consistant à attribuer à un adversaire des arguments outrés et facilement réfutables. En effet, si beaucoup de conspirationnistes sont critiques du système capitaliste, toutes les critiques d’Onfray ne sont évidemment pas conspirationnistes. Mais il oublie sa réciproque, le fait de critiquer le capitalisme n’immunise pas du tout contre l’idéologie complotiste. Le problème ici n’est pas qu’il serait un dangereux rebelle qu’il conviendrait de discréditer, mais simplement qu’il use de procédés rhétoriques typiques du complotisme parmi lesquels son grossier avertissement à ceux qui voudraient le contredire : « Celui qui stigmatise le complotisme a, la plupart du temps, intérêt à cacher qu’il fonctionne comme une pièce majeure du système. »
Pour Onfray, cette élection prouve que le « dispositif a bien fonctionné comme prévu par le capital » et révèle qu’il existerait un « Moloch totalitaire » qui placerait ses hommes où bon lui semble pour mieux dominer les foules. Ce Moloch, composé pour l’un des médias, pour l’autre des industriels et pour un autre encore de la justice, a voulu l’élection de Macron. Le fait que le Front national soit au second tour ou encore le discrédit jeté sur les candidats opposés à l’Europe maastrichtienne sont quelquesuns des éléments de la tactique du système.
S’il faisait preuve d’un peu de méthode, Onfray se rappellerait qu’une élection est généralement une conjonction de faits qui peuvent passer a posteriori pour improbables. Si Fillon avait été élu président, n’aurait-on pu réinterpréter de façon paranoïde l’inattendue primaire des Républicains? Si Mélenchon l’avait emporté, n’aurait-on pas pu dire que le système l’avait désigné comme une soupape pour éviter que tout le dispositif ne sombre dans la violence sociale? La logique conspirationniste est précisément celle qui ne parvient pas à se confronter à la complexité d’un monde beaucoup plus désordonné qu’elle ne l’imagine. Par une lecture rétrospective des événements, elle offre de dévoiler la cohérence souvent imaginaire d’éléments épars. Comme la psychologie expérimentale l’a montré, rapporter les désagréments du monde à une volonté malfaisante permet de mieux les supporter et de désigner un ennemi qu’on peut combattre. On ajoute ainsi à l’anxiolytique du conspirationnisme l’exaltation d’un héroïsme abordable.
Peut-être Onfray comprendrait-il mieux le ridicule de ses démonstrations s’il cherchait à se les appliquer à lui-même. Que dirait-il en effet si on l’interrogeait sur le fait que sa vidéo a été partagée par des sites d’extrême droite ? S’agit-il d’une alliance ? Y a-t-il eu une réunion dans quelque arrière-salle pour décider de ce soutien ? Et pourquoi a-t-il souvent fait la couverture des magazines? Pourquoi est-il invité dans les émissions les plus prescriptrices de vente de livres? Quels services rend-il pour qu’on organise ainsi son succès en tant qu’intellectuel ? Est-il la part de contestation incompressible que le système est contraint d’accepter pour nous faire croire que nous sommes libres ? Le ridicule de ces questions lui sautera peut-être aux yeux et lui rappellera l’avertissement de Thomas Hobbes : « Dans une multitude, bien que les personnes courent ensemble, elles ne concourent pas toujours en leurs desseins. »
PEUT-ÊTRE ONFRAY COMPRENDRAIT-IL MIEUX LE RIDICULE DE SES DÉMONSTRATIONS S’IL CHERCHAIT À SE LES APPLIQUER À LUI-MÊME.