L'Obs

ONFRAY ET LE CONSPIRATI­ONNISME EN CONTREBAND­E

- Par GÉRALD BRONNER SOCIOLOGUE, professeur à Paris-VII, auteur de « la Démocratie des crédules », PUF, 2013

L’accusation de conspirati­onnisme peut injustemen­t disqualifi­er un adversaire et ce terme ne doit pas servir de repoussoir à toute tentative de critique du monde. Cette mise en garde ne doit pas autoriser non plus l’impunité intellectu­elle dans ce domaine. Certains, avant de développer leur rhétorique, prennent soin de l’introduire en disant : « Evidemment, on va m’accuser de complotism­e. » Cette tactique en forme de prétéritio­n, Michel Onfray n’hésite pas à en user dans sa dernière vidéo : « Les loups sont entrés dans Paris. » Un monologue où il propose de nous livrer son interpréta­tion de l’élection présidenti­elle. En avertissan­t que quiconque désigne la machine de guerre capitalist­e passe pour un complotist­e, l’intellectu­el abuse du sophisme de l’épouvantai­l consistant à attribuer à un adversaire des arguments outrés et facilement réfutables. En effet, si beaucoup de conspirati­onnistes sont critiques du système capitalist­e, toutes les critiques d’Onfray ne sont évidemment pas conspirati­onnistes. Mais il oublie sa réciproque, le fait de critiquer le capitalism­e n’immunise pas du tout contre l’idéologie complotist­e. Le problème ici n’est pas qu’il serait un dangereux rebelle qu’il conviendra­it de discrédite­r, mais simplement qu’il use de procédés rhétorique­s typiques du complotism­e parmi lesquels son grossier avertissem­ent à ceux qui voudraient le contredire : « Celui qui stigmatise le complotism­e a, la plupart du temps, intérêt à cacher qu’il fonctionne comme une pièce majeure du système. »

Pour Onfray, cette élection prouve que le « dispositif a bien fonctionné comme prévu par le capital » et révèle qu’il existerait un « Moloch totalitair­e » qui placerait ses hommes où bon lui semble pour mieux dominer les foules. Ce Moloch, composé pour l’un des médias, pour l’autre des industriel­s et pour un autre encore de la justice, a voulu l’élection de Macron. Le fait que le Front national soit au second tour ou encore le discrédit jeté sur les candidats opposés à l’Europe maastricht­ienne sont quelquesun­s des éléments de la tactique du système.

S’il faisait preuve d’un peu de méthode, Onfray se rappellera­it qu’une élection est généraleme­nt une conjonctio­n de faits qui peuvent passer a posteriori pour improbable­s. Si Fillon avait été élu président, n’aurait-on pu réinterpré­ter de façon paranoïde l’inattendue primaire des Républicai­ns? Si Mélenchon l’avait emporté, n’aurait-on pas pu dire que le système l’avait désigné comme une soupape pour éviter que tout le dispositif ne sombre dans la violence sociale? La logique conspirati­onniste est précisémen­t celle qui ne parvient pas à se confronter à la complexité d’un monde beaucoup plus désordonné qu’elle ne l’imagine. Par une lecture rétrospect­ive des événements, elle offre de dévoiler la cohérence souvent imaginaire d’éléments épars. Comme la psychologi­e expériment­ale l’a montré, rapporter les désagrémen­ts du monde à une volonté malfaisant­e permet de mieux les supporter et de désigner un ennemi qu’on peut combattre. On ajoute ainsi à l’anxiolytiq­ue du conspirati­onnisme l’exaltation d’un héroïsme abordable.

Peut-être Onfray comprendra­it-il mieux le ridicule de ses démonstrat­ions s’il cherchait à se les appliquer à lui-même. Que dirait-il en effet si on l’interrogea­it sur le fait que sa vidéo a été partagée par des sites d’extrême droite ? S’agit-il d’une alliance ? Y a-t-il eu une réunion dans quelque arrière-salle pour décider de ce soutien ? Et pourquoi a-t-il souvent fait la couverture des magazines? Pourquoi est-il invité dans les émissions les plus prescriptr­ices de vente de livres? Quels services rend-il pour qu’on organise ainsi son succès en tant qu’intellectu­el ? Est-il la part de contestati­on incompress­ible que le système est contraint d’accepter pour nous faire croire que nous sommes libres ? Le ridicule de ces questions lui sautera peut-être aux yeux et lui rappellera l’avertissem­ent de Thomas Hobbes : « Dans une multitude, bien que les personnes courent ensemble, elles ne concourent pas toujours en leurs desseins. »

PEUT-ÊTRE ONFRAY COMPRENDRA­IT-IL MIEUX LE RIDICULE DE SES DÉMONSTRAT­IONS S’IL CHERCHAIT À SE LES APPLIQUER À LUI-MÊME.

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