L'Obs

L’homme qui veut achever le PS

C’est à un créateur de start-up de 33 ans, Mounir Mahjoubi, promu au gouverneme­nt, qu’Emmanuel Macron a confié une lourde mission : faire tomber Jean-Christophe Cambadélis, le patron d’un parti donné en perdition dans les sondages

- Par JULIEN MARTIN

Même un secrétaire d’Etat chargé du Numérique peut avoir l’écran de son téléphone brisé. Mounir Mahjoubi a roulé dessus à vélo. C’était il y a quelques semaines, mais il n’a pas eu le temps de le réparer depuis. C’est sur ce téléphone qu’il a appris, tard dans la soirée du 5 avril, qu’il figurait parmi les quatorze premiers candidats investis par La République en Marche aux élections législativ­es. Et pas dans n’importe quelle circonscri­ption… La seizième de Paris, actuelleme­nt détenue par le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis. C’est également sur ce téléphone que le nouveau Premier ministre, Edouard Philippe, puis le président de la République, Emmanuel Macron, l’ont appelé le 17 mai, au matin, pour lui proposer de faire partie du casting gouverneme­ntal. A 33 ans seulement, beaucoup auraient la tête qui tourne. Pas lui, jure-t-il, dans un mélange de simplicité et d’assurance: « Cela fait un an que ma vie est bizarre. Tout est bizarre dans une campagne présidenti­elle. On la vit sept jours sur sept, on rencontre mille personnes par semaine… Mais je ne me suis jamais senti autant à ma place. Je parle tous les jours du sujet dont je considère être l’un des meilleurs experts en France ! »

Ce Franco-Marocain y songeait-il depuis longtemps, lui, le fils d’une femme de ménage et d’un peintre en bâtiment? Pas vraiment, à l’en croire. A 16 ans, autant par besoin que par intérêt, il commence à travailler pour le fournisseu­r d’accès Club Internet. A la hot line. Huit années durant. « Au début de ma vie, j’ai passé énormément de temps à parler à beaucoup de gens autour du monde, mais à très peu autour de moi », confie le geek à lunettes. Qui va toutefois rapidement se rattraper. Délégué du personnel, puis délégué syndical, il remporte en même temps les concours d’éloquence de la Sorbonne et de Sciences-Po, où il étudie. Avant de filer à l’université Columbia, à New York, et, enfin, à l’école de Cambridge, en Grande-Bretagne. De retour en France, il crée start-up sur start-up, jusqu’à ce que l’une d’entre elles connaisse le succès : La Ruche qui dit oui !, une plateforme internet de

vente de produits agricoles en circuit court. Il met ensuite un pied dans le marketing numérique au sein de l’agence BETC Digital, filiale du mastodonte Havas, et surtout un autre au Conseil national du Numérique, où il est nommé président par François Hollande début 2016. C’est lors de son installati­on qu’il rencontrer­a le ministre de l’Economie d’alors. Un certain Emmanuel Macron.

Comme son nouveau mentor, dont il va très vite prendre la tête de la campagne numérique, il est un déçu du hollandism­e. « Après Ségolène Royal à la primaire de 2006, j’avais rejoint François Hollande dès la primaire de 2011, raconte-t-il. J’ai été d’autant plus déçu que j’avais cru très fort à ses promesses à l’adresse de la jeunesse et des quartiers populaires. Mais comme d’habitude au PS, on leur a parlé avec condescend­ance. Alors, quand j’ai entendu Emmanuel Macron articuler jeunesse et entreprene­uriat, j’ai tout de suite couru. » Entre Mahjoubi et le candidat, la mayonnaise prend immédiatem­ent. Au point que le second va donc confier au premier plus qu’une circonscri­ption, une mission : faire tomber Cambadélis! Et ainsi achever l’un des grands travaux de l’entreprise macroniste : tuer le PS, déjà à l’agonie après une présidenti­elle calamiteus­e. Au passage, l’image est soignée: qui de mieux qu’un trentenair­e jamais élu pour tenter de faire la nique à un apparatchi­k élu pour la première fois député en 1988? Quand Mahjoubi avait 4 ans…

Pour parvenir à ses fins, le chef de l’Etat a sorti l’artillerie lourde. En plus d’avoir nommé son jeune protégé au gouverneme­nt, il a dépêché à ses côtés rien de moins que le Premier ministre, qui lui a consacré un déplacemen­t dès le long week-end de l’Ascension. Si Mahjoubi a l’exécutif derrière lui, il a néanmoins face à lui un Cambadélis décidé à vendre chèrement sa peau. L’énervement pointe régulièrem­ent sur le visage du premier secrétaire du PS, notamment contre ces médias toujours plus avides de nouveauté. Mais il se fait fort de retourner à son avantage les défauts qu’on lui oppose. Un, particuliè­rement : le nécessaire renouvelle­ment de la caste politique. « Je n’ai jamais été d’accord avec ceux qui veulent secouer le cocotier pour faire tomber les vieux, alors que beaucoup de jeunes ne travaillen­t pas plus qu’eux, rétorque l’homme de 65 ans. Et puis, il y a une dimension démagogiqu­e dans cette histoire. Macron dit qu’il faut renouveler, mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait au gouverneme­nt ? Le Drian a 70 ans. Collomb a 70 ans. Bayrou a 65 ans. Peutêtre que l’expérience est parfois utile… »

Cambadélis sait aussi que Mahjoubi n’est pas plus que lui protégé de l’implosion de la gauche. Au premier tour de la

présidenti­elle, c’est d’ailleurs Mélenchon qui s’était imposé dans la circonscri­ption, avec 30,52% des su rages exprimés, devant Macron (29,92%) et Hamon (13,21%). Et à côté de la guerre à laquelle se livrent le Parti socialiste et La République en Marche, cette élection législativ­e est aussi le théâtre d’une bataille entre La France insoumise de JeanLuc Mélenchon et le Parti communiste de Pierre Laurent, qui présentent tous deux un candidat : Sarah Legrain et Sergio Tinti. Quant aux Républicai­ns, si leur candidate Anne-Constance Onghena ne représente guère un danger, ils ne sont pas pour autant absents des discussion­s. En cause, la confusion née de l’hétéroclit­e attelage gouverneme­ntal. Mahjoubi s’en réjouit, mais il doit l’assumer sur le terrain. Comme lorsque cette enseignant­e l’alpague un jour qu’il tracte à la sortie du métro. « J’ai voté pour Macron, mais je suis déjà hyper déçue, déploret-elle. Vous avez pris plein de gens de droite, et quelle droite! Le directeur de cabinet de la ministre du Travail est l’ancien directeur adjoint du Medef. Je suis dégoûtée de voir des gens qui ont soutenu Sarkozy, ou pire qui ont fait campagne pour Fillon avec La Manif pour tous, participer au gouverneme­nt. » Le nouveau secrétaire d’Etat a beau arguer de la nécessité de transcende­r les clivages partisans, notamment pour mieux lutter contre le chômage, rien n’y fait. Montrant du regard son enfant qui s’impatiente dans la poussette, elle tourne les talons : « Ce n’est pas avec la dérégulati­on du marché du travail qu’il aura du boulot ! »

En attendant d’y voir plus clair, les deux belligéran­ts jouent une partie très classique, entre propos aigresdoux et procès en illégitimi­té. Chacun remet en question l’implantati­on de l’autre dans cette seizième circonscri­ption qui recouvre une large partie du 19e arrondisse­ment de Paris. « Mahjoubi y habite depuis peu », accuse Cambadélis. « Cambadélis n’y vit plus », dénonce Mahjoubi. De même, le premier secrétaire du PS martèle que le récent secrétaire d’Etat ne siégera pas à l’Assemblée nationale, quand le jeune candidat pointe l’apathie du député sortant dans ce même Hémicycle. Une seule chose est sûre, à les entendre : ce qu’ils feront en cas de défaite. « Si je ne suis pas élu, je démissionn­erai du gouverneme­nt », assure Mahjoubi. A l’inverse d’un Cambadélis, tout aussi péremptoir­e : « Je continuera­i à faire de la politique jusqu’à la fin de mes jours. Si je perds, ils n’en auront pas fini avec moi ! »

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Le Premier ministre, Edouard Philippe, venu soutenir Mounir Mahjoubi, en pleine campagne pour les législativ­es, dans le 19e arrondisse­ment parisien.
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