L'Obs

ABUS SEXUELS : UNE SI LONGUE IMPUNITÉ

- D. B.

André (1) [photo] avait à peine 12 ans quand il a pris la plume pour dénoncer à un haut responsabl­e de la communauté les « touchers impurs » dont il était victime depuis un an de la part de l’abbé P. Sans réponse. « Mes parents sont toujours des fidèles de la Fraternité. J’ai dû enfouir cette chose en moi. Mais quand j’ai vu, plus tard, que cet homme continuait à s’occuper d’enfants, je ne pouvais plus me taire. J’ai fini par porter plainte à la gendarmeri­e en 2012. » L’instructio­n a finalement été ouverte début janvier ; à 38 ans, André va, peut-être, enfin obtenir justice. Pour tous les autres également. Car André a découvert qu’il n’était pas la première victime de l’abbé P. A la fin des années 1980, deux frères dans le nord de la France sont abusés par le prêtre. La mère proteste auprès des autorités de la Fraternité, mais l’affaire est étouffée. La famille ne souhaite pas porter plainte. Le silence est aujourd’hui toujours de mise, puisque l’un des garçons, à la suite d’un accident, est dans le coma, tandis que l’autre est resté membre de la Fraternité. Il faudra attendre 2014 pour que l’abbé P. soit jugé lors d’un procès canonique, et interdit de tout apostolat auprès des mineurs. Soit près de vingt-cinq ans après les premiers faits… « Cela peut paraître long, mais nous n’étions au courant que de touchers impurs et d’attitudes trop proches, comme laver les scouts à la rivière », argue

l’abbé Thouvenot, secrétaire général de la Fraternité Saint-Pie-X. L’abbé P. a refusé le jugement. Fin 2014, il a décidé de rejoindre la « Résistance », courant de dissidents de la Fraternité Saint-Pie-X hostiles au rapprochem­ent avec Rome. Il continue d’exercer en toute impunité. Un journalist­e suédois, qui l’a retrouvé officiant dans une chapelle près de Bordeaux, s’est même fait molester par les fidèles, qui ont crevé les pneus de sa voiture, l’accusant de calomnie. Même loi du silence du côté de l’abbé A. Après un premier signalemen­t, en Suisse – la victime et sa famille n’avaient pas souhaité non plus porter plainte –, l’abbé est transféré à Bruxelles, dans un prieuré, avec interdicti­on de s’occuper de mineurs. Sauf que son bureau jouxte… le dortoir d’une école gérée par la Fraternité. Trois jeunes garçons l’accusent aujourd’hui d’attoucheme­nts. Lors d’une première audience, l’homme a nié, concédant juste être « atteint de somnambuli­sme ». Il a été acquitté en première instance, un jugement dont les parents ont fait appel. En 2012, les parents de victimes de l’abbé A. recevaient un courrier de Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité. « Chers fidèles. En ces temps de la Passion, je voudrais vous écrire à propos des terribles événements qui ont blessé vos enfants […]. Nous avons affaire à un malade. Qu’il soit prêtre et ait pu accomplir des actes si ignobles sur des enfants nous remplit de honte et de confusion. » Des mots qui rappellent ceux que le même évêque adressait à André : « Puisse la Très Sainte Vierge Marie dans sa Maternelle bonté panser ces blessures causées par un prêtre ! » « Ça, c’est le discours, mais dans les faits, on a été ostracisés par la communauté, comme fauteurs de trouble », dénonce l’oncle d’une des victimes. Après le scandale à Bruxelles, l’abbé A. avait été envoyé dans une chapelle à Namur, « mais les fidèles n’avaient pas été prévenus de son passé », puis « en pénitence » en Suisse, chez ses parents. Ironie de l’histoire : à Namur, beaucoup de fidèles, mécontents du silence de la Fraternité sur le passé de ce prêtre, ont rejoint une chapelle de la fameuse Résistance. Pas de veine, l’an dernier, pour remplacer l’abbé A., les « résistants » ont pensé, faire venir… l’abbé P., l’homme qui avait abusé d’André. Avant de renoncer.

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