Qui est donc Monestier ?
UN PASSANT INCERTAIN, PAR JEAN-YVES LAURICHESSE, LE TEMPS QU’IL FAIT, 160 P., 18 EUROS.
Je ne connaissais pas Paul Monestier. Il est vrai que cet écrivain corrézien, né en 1907, mort dans des conditions mystérieuses à la Libération, n’a publié qu’un seul livre, au titre volatil : « le Passant incertain », en 1935. Un roman dont l’épilogue commandait une suite, que l’auteur n’a jamais écrite. D’ailleurs, à l’exception d’une chronique de Jean Vedrenne, « le Passant » fut ignoré des critiques et des lecteurs. Il eût été condamné à l’oubli perpétuel si, chinant chez un bouquiniste, un homme – le narrateur – n’avait exhumé cet ouvrage écorné, démonétisé, un peu sale. Il le lut aussitôt, tomba sous le charme triste de cette histoire provinciale, où un petit fonctionnaire au cadastre municipal disparaît souvent plusieurs jours, et reprend ensuite son travail comme si de rien n’était, gardant jusqu’à la fin sa part d’ombre, son secret. Il n’y a rien de plus intrigant que, surgi de nulle part, le livre inconnu d’un inconnu. Le lecteur, soudain actif, se sent à la fois détective, avocat et sauveteur. Afin d’en savoir plus, le narrateur part donc, pendant ses vacances estivales, pour Tulle, la « préfecture oublieuse » où Monestier a rédigé son unique roman et où, le 22 août 1944, il fut tué par des maquisards. Car notre homme reconstitue, grâce à des témoignages, le passé trouble – une amitié d’enfance compromettante – et amoureux de l’auteur du « Passant incertain ». A ce livre mort-né d’un écrivain brisé, le narrateur décide de donner une seconde vie et, après l’avoir recopié, de le publier sous son propre nom et un nouveau titre : « Chronique du haut pays ». L’imposture fonctionne à merveille. Un grand éditeur parisien, séduit par la prose un peu démodée et l’atmosphère intemporelle du livre, signe un contrat avec le faussaire et lui demande de penser déjà à la suite…
Pour sa part, Jean-Yves Laurichesse signe ici un étonnant roman en trompe-l’oeil sur la compilation et la réparation littéraires. Une mise en abyme d’autant plus troublante qu’il est lui-même romancier et prof de littérature à l’université de Toulouse. Et que, dans ses livres les plus personnels (« Place Monge », « les Brisées »), ce spécialiste de Giono et de Claude Simon écrit dans une langue merveilleusement inactuelle et, comme en convient le narrateur du « Passant incertain », « d’un classicisme un peu décalé pour notre époque ». Dans quel autre livre, aujourd’hui, peut-on en effet entendre si clairement le silence du gel serrant une maison et voir si bien, sous le soleil d’août, un vieux pays qui « garde sa réserve » ?