Orphia, déesse de l’amour
MINUIT EN MON SILENCE, PAR PIERRE CENDORS, LE TRIPODE, 120 P., 13 EUROS.
Pierre Cendors est un auteur ovniaque dans le paysage littéraire français. Ce solitaire vagabond (il a vécu plusieurs années en Irlande, en Ecosse et à Prague), épris de chamanisme, nous avait envoûtés en 2015 avec « Archives du vent ». Ce roman dont le héros, créateur d’une technique cinématographique révolutionnaire permettant de réaliser des films avec des acteurs morts, entraînait le lecteur dans l’exploration vertigineuse d’un « autre réel ». Cendors, ici encore, déroute et enchante avec ce court roman dense et fiévreusement poétique qu’il dédie à la mémoire d’Alain-Fournier. A l’automne 1914, Werner Heller, lieutenant de l’armée prussienne envoyé sur le front, sentant sa mort proche, écrit une lettre à une femme qu’il a brièvement rencontrée à Paris avant la guerre. Plus qu’une déclaration, c’est une méditation sur le sentiment amoureux, la façon dont il libère ou asservit selon ce que l’âme et le corps lui consacrent. Cette femme a bouleversé Heller car elle a les traits de cette « femme invisible [qui] se pense en chaque homme », celle qu’il nomme secrètement Orphia, initiatrice aux mystères, silencieuse déesse qui règne sur son temple intérieur. « En chaque homme, madame, est une intensité errante qui recompose, femme après femme, le visage d’une seule. Inaccessible. Cruellement proche. Chacune d’entre elles la lui rappelle. Toutes lui sont un exil. »