Physiologie du mariage
Quand le passé rattrape un couple parfait… Un beau roman venu d’Irlande ASSEZ DE BLEU DANS LE CIEL, PAR MAGGIE O’FARRELL, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR SARAH TARDY, BELFOND, 496 P., 22 EUROS.
Enfant, Daniel Sullivan aimait relier des points éparpillés sur une page. Petit à petit, une image se dessine qui donne un sens à l’apparent chaos. C’est ainsi que l’on pourrait définir le style de Maggie O’Farrell, subtil, fragmenté. Il faut terminer son épais roman pour en saisir le dessein global et le secret enfoui, ce que Henry James appelait « le motif dans le tapis ». Le thème, la radiographie d’un mariage est pourtant rebattu. Mais l’auteur parvient à le renouveler. Grâce à l’étude de tout ce qui fait l’envers d’un couple : les mensonges, les non-dits, le poids du passé de chacun. Et à la profondeur de ses personnages. Claudette est la plus étonnante. Son futur mari, linguiste, professeur à Berkeley, la rencontre au cours d’un voyage en Irlande. Dans une vallée perdue du Donegal, cette belle femme fantasque, ex-star de cinéma, vit cloîtrée dans sa propriété avec son fils bègue pour échapper aux curieux. Daniel s’éprend de son mystère. Ils auront deux enfants. Un jour, dans sa voiture en route vers l’aéroport, l’enseignant entend à la radio la voix de Nicola Janks, son premier amour. Il apprend qu’elle est décédée peu après cet enregistrement, au milieu des années 1980. Une vague de culpabilité le submerge, la terrible certitude d’être responsable de cette mort. Ce mari et bon père se sent une âme de lâche, d’imposteur, de tueur. Le drame qu’il a vécu vingt ans auparavant avec Nicola commence à gangrener tout ce qu’il a construit avec Claudette.
En sept ouvrages, Maggie O’Farrell, Irlandaise du Nord installée à Edimbourg, a imposé sa manière. Cette remarquable romancière s’inscrit dans la pure tradition de la littérature psychologique anglo-saxonne. Ses récits choraux brossent des tableaux de moeurs où évoluent des êtres souvent en rupture avec leur milieu. Tout en digressions et en flash-back, ce nouveau livre, son meilleur, analyse la complexité des liens familiaux et des rapports conjugaux. Mais l’auteur dépasse le stade du constat et sa sombre intrigue débouche sur une ode à la rédemption par l’amour. Un peu de bleu dans le ciel…