L'Obs

Cinquante nuances de Garrel

L’AMANT D’UN JOUR, PAR PHILIPPE GARREL. DRAME FRANÇAIS, AVEC ÉRIC CARAVACA, ESTHER GARREL, LOUISE CHEVILLOTT­E (1H16).

- NICOLAS SCHALLER

Et pendant ce temps, Philippe Garrel tourne. Encore et toujours. Chantre irréductib­le de la Nouvelle Vague, dont, au lieu de convoquer la nostalgie, il applique la petite musique surannée au récit d’amours actuelles – qui ne sont guère différente­s de celles d’avant. Jeanne et Ariane ont 23 ans. Jeanne (Esther Garrel) vient d’être quittée par Matteo et souffre de voir son idée si pure du couple mise à l’épreuve de la vie. Ariane (Louise Chevillott­e) a un rapport en apparence plus libéré aux affaires du coeur, couchant volontiers avec des fréquentat­ions de passage car, dit-elle, « les hommes trompent sans préavis, et ça ne les dérange absolument pas ». Jeanne et Ariane se retrouvent sous le toit du même homme (Eric Caravaca), père de la première, en couple avec la seconde, dont il est aussi le prof de philo. Des rapports de complicité, d’entraide et de méfiance entre les deux jeunes femmes et le quinquagén­aire qui leur sert de boussole, Garrel tire un conte moral aux vérités et à la grâce intemporel­s.

« L’Amant d’un jour » est le dernier volet d’une trilogie qui compte « la Jalousie » et « l’Ombre des femmes ». Ce qui s’y joue n’a rien de très neuf, les considérat­ions parfois adolescent­es d’Ariane et de Jeanne sur l’amour et la narration littéraire qui paraphrase en voix off flirtent avec la caricature et prêtent à la moquerie facile. Garrel est fidèle à lui-même, à sa manière. C’est ce qui rend son cinéma, lorsqu’il touche juste comme c’est souvent le cas ici, pur et unique. Fragile et beau. On imagine sans peine la tournure misogyne que prendraien­t, filmés par un autre, les atermoieme­nts d’Ariane la jouisseuse et de Jeanne l’idéaliste. Chez Garrel, rien de ça. Le cinéaste filme sa propre fille, Esther, avec pudeur et découvre Louise Chevillott­e dans tous les sens du terme. Eric Caravaca, formidable, apporte à son rôle de phare masculin une douceur intranquil­le. Le noir et blanc charbonneu­x de l’image, signée Renato Berta, sculpte les infinies nuances des sentiments qui se nouent et se dénouent entre les murs d’appartemen­ts parisiens dans le marbre des récits fondateurs. Et Jean-Louis Aubert, qui signe la bande-son, a rarement chanté aussi bien. Il y a dans la mélancolie de cet « Amant d’un jour » quelque chose de réparateur.

 ??  ?? Eric Caravaca et Louise Chevillott­e.
Eric Caravaca et Louise Chevillott­e.

Newspapers in French

Newspapers from France