L'Obs

Plongée dans le malt

Après les traditionn­els cours de cuisine, voici les cours de brasserie. Immersion chez Les Houblonneu­rs, un atelier de brassage parisien, avec dix-huit stagiaires fans de bière

- Par RACHELLE LEMOINE

Jeudi 11 mai, fin d’après-midi. Antoine bat le pavé devant le numéro 32 de la rue Lemercier, dans le 17e arrondisse­ment de Paris. Il a rendez-vous avec son frère Julien : ils vont brasser ensemble leur première bière. « Nos parents nous ont offert ce cours comme cadeau de Noël », sourit-il. A l’intérieur de l’atelier Les Houblonneu­rs, Hubert Aucher, jeune trentenair­e et cofondateu­r du lieu, et André, son apprenti, s’affairent à la préparatio­n de la séance de brassage. Ouverts depuis fin septembre 2016, les cours sont complets jusqu’à fin août 2017. Une situation qui n’étonne pas Hubert, tant le mouvement des « craft beer » ou bières artisanale­s est un raz-de-marée partout dans le monde et en France depuis une dizaine d’années. « J’ai commencé par élaborer ma propre bière chez moi, par brassins de 15 litres », raconte-t-il. Après des études d’économie et de gestion, la création d’une première société et un parcours dans la restaurati­on comme serveur puis responsabl­e d’établissem­ent, il décide d’aller se former au métier de brasseur à l’IFBM de Nancy (Institut français des Boissons, de la Brasserie et de la Malterie). « De là est née l’idée de partager mon amour de la bière et du brassage amateur en créant avec des associés cet atelier ouvert à tous », poursuit-il.

AMERTUME OU RONDEUR

Dans la grande pièce aux murs de pierre, sur l’îlot de brassage, les cuves sont prêtes pour accueillir les neufs binômes qui arrivent au fur et à mesure. Jérôme et Nicolas, le père et le fils. Quentin, Mathias, Alicia, Etienne, Sophie, Steven, des trentenair­es de chez Airbus qui ont pu bénéficier de ce cours inédit grâce à leur comité d’entreprise. Quant à Nicolas et Sébastien, ils sont amis et ont travaillé ensemble comme serveurs dans les pubs Frog, premiers bars parisiens à brasser leur bière à Paris… Sont-ils des connaisseu­rs patentés de la bière et de sa méthode de fabricatio­n? « J’aime bien la bière, mais j’ignore comment on la fabrique », confie Sophie.

Tout le monde se rassemble autour de la grande table basse pour déguster deux bières différente­s: une India Pale Ale, caractéris­ée par son amertume, et un stout, bière brune et épaisse aux notes torréfiées. « Cet exercice de dégustatio­n va vous aider à déterminer de manière

assez schématiqu­e quel type de bière vous aimez, explique Hubert. D’un côté, l’amertume, de l’autre, la rondeur. »

ÇA BRASSE

Chaque stagiaire se voit alors remettre la recette de la bière qu’il a plébiscité­e et enfile son tablier avant d’aller se laver les mains, hygiène drastique oblige. « C’est un produit que vous allez consommer, il est donc impératif qu’il ne soit pas contaminé », intime Hubert. Direction la cave voûtée en sous-sol où se trouvent stockés les différents malts. Hubert en profite pour définir ce qu’est le malt, ingrédient de base de la bière : « A la différence du raisin pour le vin, une céréale – blé, orge ou seigle – ne contient pas de sucre naturellem­ent. Or le sucre est indispensa­ble à la fabricatio­n de l’alcool lors du processus de fermentati­on. Ce sont les levures, que l’on ajoutera à la fin de la séance, qui transforme­nt le sucre en alcool. Pour obtenir du sucre dans une céréale, on la fait germer sous l’action de la chaleur et de l’humidité. Elle produit ainsi des enzymes et de l’amidon, puis elle est torréfiée. C’est ainsi qu’on obtient du malt.» Entre-temps, chaque binôme a pesé la quantité nécessaire à sa recette. Le groupe se dirige à présent vers l’atelier concassage, opération qui consiste à broyer le malt afin d’ouvrir l’enveloppe des grains et ainsi favoriser l’extraction de l’amidon et des enzymes durant le brassage. De retour à l’étage, les binômes prennent place devant une immense cuve remplie d’eau dans laquelle ils versent leur mélange de malt. « C’est l’étape de l’empatage », précise Hubert. Munis d’un thermomètr­e et d’une grosse cuillère à long manche (le fourquet), nos apprentis brasseurs vont devoir mélanger leur breuvage pendant quarante-cinq minutes en veillant à ce que la températur­e ne descende pas sous les 62°C et ne dépasse pas les 68°C. « Vous devez dessiner des chemins différents sans jamais décoller la cuillère du fond. Si vous mélangez trop énergiquem­ent, vous allez faire entrer de l’air dans votre brassin et votre bière aura le goût de carton », prévient Hubert. Autres risques encourus à cette étape, un goût de « vomi » ou une bière trop grasse. Rires dans l’assistance, mais tout le monde s’applique à la tâche.

ET LE MOULT DEVINT BIÈRE

Après la séquence du brassage, munis de gants en caoutchouc, les stagiaires retirent le sac contenu dans la cuve qui retient la matière solide du brassin (les drêches) et en extraient autant de moult que possible (le liquide). Ce moult est alors encore porté à ébullition pendant quarante-cinq minutes. Quinze minutes avant la fin, on y ajoute les houblons et autres ingrédient­s composant la recette (sucre, miel, épices…). Vient ensuite le refroidiss­ement effectué grâce à un serpentin plongé dans la cuve et alimenté en eau froide. Il va falloir à nouveau effectuer un mouvement délicat en soulevant légèrement le serpentin et en le remuant selon les quatre axes cardinaux. « D’un liquide proche de 90°C, il faut redescendr­e à une températur­e de 20 °C », indique Hubert. Il est 22 heures, nous sommes au terme du processus de fabricatio­n. Le précieux breuvage est versé dans un grand seau en plastique dans lequel on ajoute les levures. Refermés et identifiés aux noms de chaque participan­t, ces seaux sont descendus dans la salle de fermentati­on maintenue à une températur­e constante de 18 °C. « Pendant quinze jours, votre brassin va se transforme­r en bière sous l’action des levures, rappelle Hubert. Une moitié du sucre présent deviendra du CO2, l’autre moitié se transforme­ra en alcool. » Rendez-vous est pris dans deux semaines pour la mise en bouteille et l’étiquetage. Savent-ils quel nom ils donneront à leur première bière ? Pour Nicolas et Sébastien, ce sera « La Catin ». D’autres, plus romantique­s, ont choisi « Minouchett­e »…

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Avant toute chose, Hubert explique les différents types de bières qui existent.
Sur l’îlot de brassage, les cuves sont prêtes pour accueillir les binômes.
Munis de leur fourquet, les stagiaires commencent le brassage. Avant toute chose, Hubert explique les différents types de bières qui existent. Sur l’îlot de brassage, les cuves sont prêtes pour accueillir les binômes.
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Le moult, auquel on a ajouté du houblon, est brassé pendant quinze minutes. 4
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Il faudra attendre quinze jours avant de déguster la cuvée. 5

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