L'Obs

La mousse s’invite à table

En se multiplian­t, les marques de bières rêvent de détrôner les grands crus. Un des meilleurs sommeliers du monde et un zythologue livrent leurs secrets d’alliances gastronomi­ques avec les brunes et les blondes

- Par ANTOINE GERBELLE

e saviez-vous ? En tant que boisson fermentée, la bière est étudiée, comme le vin, par les sommeliers, pour préparer tous les concours qui jalonnent leur vie profession­nelle. Et il arrive qu’ils en deviennent spécialist­es. Les Belges ont d’ailleurs inventé un mot pour les qualifier : « zythologue­s », du grec « zythos » (bière) et « logos » (étude, discours). Olivier Poussier, 53 ans, sacré meilleur sommelier du monde en 2000, fut l’un des premiers Français à s’enthousias­mer des possibilit­és qu’offrent les bières à table. « C’est nouveau pour nous, mais c’est une alternativ­e de choix face au vin, explique le sommelier le plus selectionn­é de sa génération. Grâce à l’amertume du houblon, les bières s’accordent avec les aliments qui sont amers et terreux. Grâce à leur gaz, elles fonctionne­nt bien avec des mets gras. » Désormais, Olivier Poussier utilise le plus souvent possible les bières en accord. « Le chemin pour amener nos clients amateurs de vin à apprécier un juste accord de plats avec la bière sera long. Mais déjà, ceux qui n’ont pas l’habitude de boire du vin y sont ouverts. »

Pour Fabrizio Bucella, docteur en sciences et zythologue belge, cette mode récente prospère depuis l’émergence des microbrass­eries, ces brasseries locales dont la saveur et la complexité des production­s renvoient au rang de boisson standard industriel­le les bières de marque internatio­nale. « Traditionn­ellement, dans les pays européens producteur­s, la bière était bue pendant les repas comme une boisson aliment, un peu comme le vin de table en France dans les années 1960-1970 », précise-t-il. Aujourd’hui, les associatio­ns sont autrement plus subtiles.

A table, ce sont les bières spéciales qui s’expriment le mieux, « surtout les bières “doubles”, corsées car contenant plus de malt, et les “triples”, avec encore plus de malt et très fortes en goût », affirme Olivier Poussier. Elles titrent entre 6 et 8 degrés d’alcool. Pour le sommelier, les grands accords naissent avec des bières issues de ces fermentati­ons spontanées, comme les gueuzes ou les lambics. « Pour moi, le sommet, ce sont les bières belges de chez Cantillon. Leur gamme se rapproche des saveurs intenses que je trouve dans les meilleurs vins nature. »

Ces deux fous de mousse reconnaiss­ent une prédilecti­on pour les accords avec les fromages. « Pour les fromages persillés, il faut choisir des bières de la famille du stout : les bières brunes, ambrées, celles issues de malt torréfié, avec des notes caramélisé­es, une onctuosité qui s’oppose à l’amertume du gorgonzola ou du bleu de Gex », précise Olivier Poussier. Et avec les fromages à croûte lavée (époisse, maroilles…) ? « La réaction des tanins du vin sur les protéines du lait déstabilis­e l’accord, ajoute le sommelier. La combinaiso­n de l’amertume, de l’effervesce­nce et du faible degré d’alcool de la bière se marie davantage à ces goûts et à ces textures. » Avec du beaufort ou du comté jeune, une jeune bière blonde de type pils sera davantage en harmonie.

Autre révélation, le mariage des bières brunes avec le cacao. « Un de mes plus beaux souvenirs, raconte, encore ému, le célèbre sommelier, c’est d’avoir servi lors du dîner annuel de La Paulée des vins de Loire, une bière stout de la brasserie Stéphanois­e sur un moelleux au cacao mi-cuit exécuté par Michel Troisgros. De grands chefs présents sont venus me féliciter de cette alliance qu’ils n’avaient jamais tentée. » Encore plus pointue ? L’associatio­n avec des légumes amers comme les salsifis ou les endives.

« Avec les bières blanches, l’accord avec une dominante iodée fonctionne bien: salades de saumon et poissons fumés », ajoute Poussier. Mais ne jamais oublier la coriandre et un jus de citron qui répondront aux notes sucrées de ces bières. »

Dans les carnets des deux experts, les pistes d’exploratio­n ne manquent pas. « Il faut absolument essayer la bière avec des plats traditionn­els, un vol-au-vent ou une blanquette de veau, dit Fabrizio Bucella. Les viandes blanches en sauce avec des bières “saisons”, des blondes charpentée­s qui vont jusqu’à la typologie triple, c’est le bonheur. » Son coup de coeur ? « Une trappiste Rochefort 6. »

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