L'Obs

Elysée Macron en fait-il trop ?

Après la Cour carrée du Louvre et le command-car sur les Champs-Elysées, le discours devant le Congrès à Versailles a renforcé les critiques sur la dérive monarchiqu­e du nouveau chef de l’Etat. Analyse

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Macron, nouveau Caudillo? César des temps modernes ? Despote même pas éclairé? A lire et à entendre les accusation­s portées de toutes parts contre le président de la République élu voici à peine deux mois, on se croirait en dictature. L’impatience, légitime, n’est pas bonne conseillèr­e. Il y a de bons procès. Il y en a d’autres qui s’apparenten­t à des procès en sorcelleri­e. L’avenir dira si Emmanuel Macron n’était qu’un vulgaire tyran, mais ce temps-là n’est pas venu.

Certes, la prestation du chef de l’Etat devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, lundi dernier, n’était pas de nature à enthousias­mer. Un discours trop long, un phrasé trop travaillé, sans rythme, ou plutôt sans ruptures de rythme; des généralité­s enfilées comme des perles; des formules ronflantes et consensuel­les malgré quelques références littéraire­s transgress­ives comme « la part maudite » de Georges Bataille; de grands objectifs énoncés tels des voeux pieux, comme s’il était encore en campagne, au temps des meetings interminab­les. Il y aurait pourtant une forme de mauvaise foi à minimiser l’annonce de mesures attendues par les Français depuis trop longtemps. Voilà des années que la fameuse société civile attend la réduction du nombre de parlementa­ires, notamment celui des députés, porté à 577 par François Mitterrand en 1986. Sans que ce chiffre-là correspond­e à une quelconque utilité pour le pays : 925 parlementa­ires au total pour 66 millions d’habitants quand ils sont 535 pour 320 millions d’Américains… Cette mesure, destinée à lutter contre le « parasitism­e politique », pour reprendre l’expression de l’éditoriali­ste Jacques Julliard, est nécessaire, attendue et populaire. Est-ce vraiment le moment de tordre le nez ?

Certes, Macron en fait beaucoup dans la com et la symbolique régalienne, voire monarchiqu­e. Oui, la photo du président est travaillée. Laquelle ne l’était pas? Oui, les livres, sélectionn­és avec soin, sont savamment disposés sur le bureau. Les « Mémoires de guerre » du général de Gaulle à sa droite; les recueils des oeuvres de Stendhal, dont « le Rouge et le Noir », et d’André Gide, dont « les Nourriture­s terrestres », à sa gauche. Non, aucun objet ne figure là par hasard. Ni l’encrier surmonté d’un coq ni la pendule du conseil des ministres, symbole suprême pour celui qui se veut le « maître des horloges ». Mais, faut-il le rappeler, la photo de François Hollande, prise dans les jardins du palais de l’Elysée, comme s’il n’avait pas vraiment voulu y entrer, comme s’il n’avait pas voulu assumer sa fonction, avait été plus critiquée encore. Macron, lui, a manifestem­ent décidé de « réenchante­r l’Elysée », selon la savoureuse formule du publicitai­re Jacques Séguéla. On ironise sur les fastes de Versailles et l’aile des Princes, après le command-car et la Cour carrée du Louvre. Too much? C’est oublier que c’est ce que souhaitent les Français, demeurés monarchist­es dans l’âme. Ils n’avaient pas admis la désacralis­ation de la fonction présidenti­elle opérée par François Hollande, président « normal » à scooter, et avant lui, d’une autre manière, par Nicolas Sarkozy, avec son « Casse-toi pauv’ con. » Ils approuvent aujourd’hui massivemen­t ce retour à un minimum de tenue et d’autorité assumée, à en juger par les résultats de l’enquête Ipsos pour « le Monde », la Fondation Jean-Jaurès et Sciences-Po. 88% des Français considèren­t en effet qu’on « a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre » et ils sont 84% à penser que « l’autorité est une valeur trop souvent critiquée ». Bref, ce qui agace les commentate­urs est plébiscité par la population française.

Certes encore, le chef de l’Etat a trouvé le moyen de griller la politesse à son Premier ministre en choisissan­t de s’exprimer devant le Congrès à la veille de la présentati­on de la politique générale par ce dernier. Contrairem­ent à la stricte séparation des pouvoirs définie à l’origine par la Constituti­on de la Ve République, ce discours dans l’enceinte du Parlement est désormais possible depuis la réforme constituti­onnelle engagée par Sarkozy en 2008. Ce n’est donc pas l’usage qui est en cause, mais l’opportunit­é du moment. Volonté de castrer son Premier ministre? De l’humilier comme un vulgaire « collaborat­eur »? En tout cas, grâce à son discours fleuve bien peu précis, ou à cause de lui, le chef de l’Etat a fait à son chef de gouverneme­nt le cadeau de pouvoir apporter les détails concrets et les précisions que chacun attend désormais. A en croire l’entourage d’Edouard Philippe, les rôles de chacun auraient du reste fait l’objet de conversati­ons franches entre les deux hommes. « Le retour du “fusible” fait partie du deal passé dès le départ entre Macron et Edouard », confie ainsi un proche du Premier ministre.

Il n’empêche. Le raz de marée de La République en Marche aux législativ­es n’efface pas le maigre score – 24% des

voix – d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidenti­elle. Voilà qui explique sans doute, sous ses apparences martiales, la frilosité du chef de l’Etat qui semble marcher… sur des oeufs. Depuis des années, une majorité de politologu­es expliquent que, à condition de conserver le Sénat, il faudrait supprimer purement et simplement le Conseil économique, social et environnem­ental. Macron, lui, choisit de le refonder en réduisant ses effectifs d’un tiers. Même prudence concernant le régime de la Ve République. Certes, Macron avait prévenu pendant sa campagne que la modificati­on de nos institutio­ns ne lui semblait pas prioritair­e, en regard des urgences économique­s et sociales. Mais tout de même. Il y aurait une logique à ce que ce jeune président, attaché à la présidenti­alisation du système, mais qui se dit soucieux de « renforcer le Parlement », aille au bout du changement institutio­nnel commencé par Jacques Chirac et Lionel Jospin avec l’instaurati­on du quinquenna­t, et poursuivi par Nicolas Sarkozy. C’est en mettant en place un véritable régime présidenti­el qu’il renforcera­it vraiment les pouvoirs du Parlement, comme c’est le cas aux Etats-Unis où le Congrès dicte parfois sa loi au chef de l’exécutif.

Reste enfin le « verrouilla­ge » de la communicat­ion présidenti­elle qui fait couler beaucoup d’encre. « Le temps des journalist­es copains, c’est terminé », avait glissé le candidat Macron pendant sa campagne. Honnêtemen­t, qui, d’un point de vue citoyen, ne pourrait s’en réjouir? Le précédent chef de l’Etat avait en effet poussé la connivence jusqu’à susciter « la nausée », comme l’avait confié un de ses minitres. Plus de coulisses à raconter? Tant pis! Ou tant mieux. On parlera du fond. Plus de « off ». Très bien. Mais cette stratégie de communicat­ion n’est acceptable d’un point de vue démocratiq­ue que si elle est assortie d’un profond respect du droit à l’informatio­n et de la liberté des rédactions de mener leur travail comme bon leur semble. Ce n’est pas le sentiment qu’a donné le nouveau pouvoir il y a quelques semaines en prétendant sélectionn­er lui-même les journalist­es accrédités pour les voyages présidenti­els, avant de faire machine arrière toute. Ou en recommanda­nt, comme le porte-parole du gouverneme­nt, Christophe Castaner, de « ne pas chercher à affaiblir » la ministre du Travail, visée par une enquête. Ou encore en parlant, comme un conseiller de l’Elysée, de la « pensée complexe » du président, pour justifier l’absence d’interview le 14 juillet…

La presse ne doit pas se tromper de combat. Les états d’âme d’une profession frustrée d’être privée d’« infos », d’« exclu » ou de confidence­s n’intéressen­t personne. Mais Macron ne doit pas se tromper non plus. S’il n’y a plus de « off », il faut du « on ». En clair, des conférence­s de presse régulières du président-Jupiter… au cours desquelles le micro serait distribué librement. C’est le corollaire obligatoir­e et démocratiq­ue de la stratégie du verrouilla­ge.

Emmanuel Macron, qui mêle habilement références et postures gaullienne­s et modernité sociétale à la Giscard, se réclame d’abord de Michel Rocard, comme en témoignent ses indignatio­ns contre « le déni de réalité » et ses plaidoyers en faveur d’une société plus girondine et plus contractue­lle. Il sait donc bien que ceux qui s’inscrivent dans cette filiation l’attendent d’abord sur le terrain social. Macron a promis de libéralise­r « et en même temps » de protéger les plus faibles. Chiche.

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