LE DESTIN DE SIMONE
J e me rappelle avoir passionnément suivi la retransmission télévisée du débat sur l’avortement à l’Assemblée nationale. Simone Veil était magnifique. Au milieu des faux-fuyants, des hypocrisies, des dérobades gluantes, elle se dressait, nette, évidente, comme la voix de la vérité. A mon avis, sa grande victoire, dans l’imaginaire collectif, vient de là : avoir dit ce que tous les esprits libres attendaient depuis toujours, avoir montré que l’ancien monde, à ce sujet, était devenu intenable. Non, la naissance n’est pas une valeur suprême, un devoir sacralisé. Oui, la liberté des femmes peut exister et, du même coup, la liberté des hommes que cette liberté ne gêne pas. Il est vrai qu’ils ne sont pas foule.
L’abolition de la peine de mort découlait logiquement de ce moment clé. C’est là qu’une révolution a eu lieu, décisive.
Ce qui me frappe le plus, chez Simone Veil, c’est la cohérence métapolitique de sa démarche. L’Europe, les droits de l’homme, le libéralisme fondamental, la politique étrangère, tout se tient, sans hésitations, sans peur. Son regard vient de loin, on sait de quelle épreuve sans nom, et va plus loin que la scène présente. A la lettre, elle infantilise les hommes politiques qui s’agitent en même temps qu’elle : elle révèle, par son seul rayonnement physique, leur opportunisme, leur bafouillage local. On sent qu’à l’inverse d’une formule célèbre, triste contresens d’une tradition trop française, elle est inquiète d’ellemême et instinctivement contre toutes les dominations. Elle a un destin ? C’est visible. Comme Mgr Lustiger, disons, et pour les mêmes raisons.
Etre français m’a longtemps semblé ennuyeux. On pourrait commencer un roman par cette phrase. Je n’ai pas vu Le Pen à la télévision, mais de très près, dans la rue, quand j’étais étudiant, au moment de la guerre d’Algérie. Ce visage est définitif. On le fuit d’instinct, question d’esthétique. Même topo pour Marchais, pas besoin de réflexion politique pour ça. La majorité des Français aurait maintenant du goût ? On l’espère. Simone Veil est belle, cela va sans dire. Une morale de la beauté, pourquoi pas ?