L'Obs

“L’HISTOIRE NOUS A DONNÉ RAISON”

- Par ANNE WIAZEMSKY, COMÉDIENNE ET ÉCRIVAIN

Je suis l’une des 343 salopes. Je crois que j’étais la plus jeune. Mon amie MarieFranc­e Pisier voulait me faire rencontrer Antoinette Fouque et Monique Wittig, dont j’avais lu « l’Opoponax », que j’avais beaucoup aimé. On s’est retrouvées toutes les quatre au bistrot Le Raspail Vert, près d’Edgar Quinet, et Antoinette et Monique nous ont expliqué leur projet. J’étais en accord total, sauf que je n’avais pas avorté. Elles m’ont répondu : « Ça n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ta signature. » C’était pour moi un acte militant important, mais j’étais persuadée qu’elles n’arriveraie­nt pas à mobiliser suffisamme­nt. Par chance, je me suis trompée. Ça a pris très vite. Je ne pensais pas les femmes si courageuse­s. En 1973, on était encore dans l’utopie que tout était possible. Et sur ce sujet-là, l’histoire nous a donné raison. Des amies plus âgées, qui avaient dû subir un avortement, m’avaient raconté. Je savais dans quelles conditions épouvantab­les cela se passait. J’ai failli y avoir recours lors de ma relation avec Jean-Luc Godard. Sur « la Chinoise », j’ai cru un moment donné être enceinte, et Jean-Luc avait quitté le tournage pour trouver un

médecin. C’était une fausse alerte. J’avais la chance, à mon époque, de disposer de la contracept­ion. Beaucoup de filles qui ont signé étaient mes aînées et n’avaient pas eu cette chance. Je n’ai pas pensé une seconde à la réaction de ma famille qui a été très peinée de découvrir mon nom dans la liste. Mes grands-parents [dont l’écrivain François Mauriac, NDLR], surtout. Bien plus tard, alors que j’étais très liée à elle, ma grand-mère m’a confié que ça l’embêtait que je n’aie pas d’enfant alors que j’aurais pu. Quand je lui ai expliqué que non, je n’avais jamais avorté, elle s’est mise encore plus en colère : « Comment? Mais c’est effrayant de mentir sur un sujet pareil ! » C’est quinze ans après que je me suis fait engueuler. J’étais très admirative de Simone Veil, j’avais été particuliè­rement marquée par sa force et par ses larmes lors de son interventi­on à la télévision pour défendre sa loi. Je trouve bien qu’à l’occasion de sa mort, on reparle de tout ça. On la réentend. Hier, je l’écoutais dans une émission de Laure Adler sur France-Inter. Son espèce de gravité calme était formidable­ment forte. Plus encore que l’avortement, Simone Veil défendait la contracept­ion, à raison. Je suis très fière d’avoir signé ce manifeste. Quand je vois où on en est aujourd’hui, que le débat autour du droit à l’avortement ressurgit, ça me déprime. Et je ne parle même pas de la Manif pour tous. En plus, très égoïstemen­t, ça me gênait dans ma vie privée : ces connards de manifestan­ts défilaient en bas de chez moi.

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Anne Wiazemsky, en 1968.

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