L'Obs

Brontë divines !

LETTRES CHOISIES DE LA FAMILLE BRONTË 1821-1855, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR CONSTANCE LACROIX, QUAI VOLTAIRE, 624 P., 25 EUROS.

- DIDIER JACOB

Quelle famille! Née en 1816, Charlotte Brontë publie en 1847, sous pseudonyme, un chef-d’oeuvre de la prose anglaise, « Jane Eyre ». La même année, sa jeune soeur Emily (elles ont deux ans d’écart) signe, également sous pseudonyme, un autre monument, « les Hauts de Hurlevent ». 1847 encore : Anne, la dernière, publie un troisième roman, « Agnes Grey ». Comment travaillai­ent-elles ? Dans le salon, près de la cheminée, pelotonnée­s les unes contre les autres pour se protéger de l’hiver ? Décembre 1846 : « Il fait un froid terrible chez nous, écrit Charlotte. C’est à croire que l’Angleterre a dérivé jusqu’à la zone arctique – le ciel semble de glace – le sol est gelé, et le vent aussi coupant qu’une lame à deux tranchants. » Si cette correspond­ance, inédite en français, nous invite à pénétrer dans l’intimité du génie, rien, dans ces Lettres, ne permet d’en résoudre l’énigme. Les Brontë? Des indomptabl­es. Modestes et modernes. Voyez la scène merveilleu­se où Charlotte pousse jusqu’à Londres, à la suite du succès de « Jane Eyre », pour se faire connaître de son éditeur. Surgissant de son bureau, l’homme toise Charlotte, laquelle, par ruse, lui tend la lettre qu’il avait adressée à Currer Bell (pseudonyme de la demoiselle) sans se douter qu’il écrivait en réalité à une romancière. « Il la regarda [la lettre] – me regarda – revint à la lettre – puis à moi – une fois – deux fois – son étrange perplexité me fit rire – s’ensuivit une scène de reconnaiss­ance – je lui dévoilai mon vrai nom – “Miss Brontë”. » Quel scénariste aurait mieux décrit la scène? Maintenant, l’éditeur et son équipe veulent présenter la romancière au Tout-Londres, et faire d’elle une bête de foire. La réaction de Charlotte, en 1848, annonce l’obstinatio­n d’Elena Ferrante dans le bureau de son éditeur : « Nous étions déterminée­s, explique Charlotte en parlant aussi de sa soeur, à garder l’anonymat, nous devions rester des “messieurs”, tout comme auparavant. » Les éditeurs, cependant, insistent. Ils veulent « un peu d’excitation, d’éclat, etc. ». Mais comme Emily et Charlotte renâclent, on les fera passer pour des « cousines de province »… On ne dirait rien de cette belle « Correspond­ance » si l’on n’évoquait son terme tragique. 1848 : Emily et son frère Branwell meurent de la tuberculos­e. 1849 : décès d’Anne. Le véritable nom de l’auteur de « Jane Eyre » commence à circuler. Seule Charlotte demeure (pas pour longtemps, elle meurt en 1855) dans une maison dont elle souligne, dans des lettres poignantes, qu’elle est rendue au calme. A quelque chose de calme qui ressemble à Dieu.

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« Les Soeurs Brontë », d’André Téchiné (1979), avec Marie-France Pisier, Isabelle Adjani et Isabelle Huppert.

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