L'Obs

Meurtre en Egypte

LE CAIRE CONFIDENTI­EL, PAR TARIK SALEH. POLAR SUÉDOIS, AVEC FARES FARES, HANIA AMAR, MARI MALEK (1H50).

- FRANÇOIS FORESTIER

Les rues grouillent, le crépuscule est gluant, les flics passent à la caisse. Chaque petit commerçant, chaque mac, chaque dealer crache au bassinet, le long de trottoirs bordélique­s. L’inspecteur Nourredine, en sortant du commissari­at de Kasr el-Nil, fait la tournée des popotes. C’est le job, voilà tout. Quand une chanteuse célèbre et ravissante est assassinée dans un hôtel de luxe, voici la même musique : à quoi bon faire des relevés, mouiller la chemise, chercher des indices ? Le coupable, un promoteur richissime, copain avec le président Moubarak, ne peut pas être accusé. L’inspecteur Nourredine enquête quand même. Il est un peu corrompu, certes, mais pas trop. Il s’obstine, l’imbécile. La hiérarchie lui conseille de laisser tomber, mais non. Dans le peuple, la tension monte : on est en janvier 2011. Ça remue, place Tahrir. La révolution du Nil est en marche. Nourredine continue… Inspiré d’une histoire authentiqu­e (l’affaire Talaat Moustafa, commandita­ire de l’assassinat de la chanteuse Suzanne Tamim en 2008), le film de Tarik Saleh est l’un de ces polars bien poisseux, dans la meilleure tradition de la Série noire. La ville est crapoteuse, la police est moisie, les rues sont sales, le sang coule. La justice? Une vague idée. L’équité? Vous plaisantez? Plus Nourredine progresse, plus il s’enlise dans la boue.

Dans « L.A. Confidenti­al », on était dans une banale affaire de putes relookées. Dans « Le Caire confidenti­el », le constat politique sous-tend le drame de la canaille. Le pire, c’est qu’à la fin les salauds vont profiter de l’éruption populaire. La révolution fabrique des cocus de l’Histoire. Le constat est amer… Tarik Saleh, ex-graffeur né en Suède, ex-éditeur d’une revue, auteur de documentai­res sur Che Guevara et sur Guantánamo, réalisateu­r d’un dessin animé (« Metropia ») et d’un polar (« Tommy »), a un regard aigu, une façon rageuse de suggérer l’émiettemen­t social, la détériorat­ion de la simple morale. Comment un tel film a-t-il pu être tourné en Egypte aujourd’hui? Il n’a pas pu, voilà. En plein tournage, les services de sécurité de l’Etat ont mis bon ordre et clos le plateau. Tarik Saleh a terminé à Casablanca, où le directeur de la photo Pierre Aïm a saisi avec finesse les mêmes contrastes de lumière, les mêmes menaces dans l’ombre. La nuit, au Caire, sent le pourri.

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