Mémoires d’une rêvoteuse
ADIEU BOGOTA, PAR SIMONE ET ANDRÉ SCHWARZ-BART, SEUIL, 272 P., 18 EUROS.
Simone et André (en 1967, photo) formèrent un couple littéraire de légende. Parce que son mari, cet « autre », lui a laissé une abondance de notes et qu’il demeure toujours à ses côtés malgré sa disparition il y a onze ans, Simone Schwarz-Bart continue de signer ses livres de leurs deux noms, comme elle l’avait fait pour « l’Ancêtre Solitude » en 2015. Nouveau volume du cycle des romans antillais commencé avec « Un plat de porc aux bananes vertes » en 1964, « Adieu Bogota », qui s’ouvre sur le Paris des années 1950, en reprend le thème et l’héroïne. Marie, la vieille Martiniquaise, travaille dans un hospice. Avant de rendre l’âme, la Jeanne, sa pensionnaire préférée, celle qui lui parlait de sa « philosophie », l’incite à coucher ses propres souvenirs sur papier. Alors, avant de s’éclipser à son tour, « la mystérieuse négresse-qui-aide », la « rêvoteuse », entame la rédaction de ses Mémoires. Faite de périples dans le vaste monde, cette existence dont elle ne livre que « l’écume » fut aventureuse, semée de coups de folie et de drames jusqu’à son arrivée à Paris en 1931. Son récit commence avec le xxe siècle. Il possède le caractère épuré, le pouvoir symbolique du conte et même celui du mythe. Après l’éruption de la montagne Pelée qui a détruit la ville de Saint-Pierre, la jeune Mariotte quitte son île à bord d’un vapeur. Débarquée en Guyane, elle est décidée à y « trouver un homme sérieux ». Elle s’éprend pourtant d’un orpailleur, un ex-bagnard qu’elle suit à New York puis en Colombie. Là, il l’abandonne à son sort. En proie à une rage sèche, Mariotte se place alors sous la protection d’un autre homme avant de faire ses adieux à Bogota et de quitter le continent. De livre en livre, Simone Schwarz-Bart, figure majeure des lettres, nous raconte la même histoire toujours renouvelée, celle d’une solitude, d’une émancipation féminine. Et surtout de la mémoire confisquée des Antilles qu’à travers son oeuvre elle tente de reconquérir. La puissance et la simplicité d’un style magistral emportent le lecteur. Lorsqu’elle se lance dans l’écriture, sa narratrice sent un grand vent souffler dans sa tête. Les effluves qu’elle nous donne à respirer sont des bouffées de joie de vivre et de liberté.