Rodtchenko, le révolutionnaire
RODTCHENKO, COLLECTION MUSÉE POUCHKINE, MUSÉE UNTERLINDEN, COLMAR. JUSQU’AU 2 OCTOBRE. RENSEIGNEMENTS : 03-89-20-15-50. CATALOGUE, MUSÉE UNTERLINDEN, 144 P., 29 EUROS.
Le rêve ne paraissait pas impossible. En 1928, Alexandre Rodtchenko (1891-1956) voulait y croire encore : « Nous devons révolutionner notre pensée visuelle ; nous devons enlever le voile que l’on appelle “nombrilisme” de nos yeux. » Trois ans plus tôt, l’artiste russe avait fait le voyage pour Paris, contribuant à l’élaboration du pavillon soviétique de l’Exposition internationale des Arts décoratifs. Il y présente notamment son projet de « club ouvrier », ancêtre des espaces de coworking – avec mobilier fonctionnel et portrait de Lénine à la clé. Une maquette de ce club pas comme les autres – qui ne verra jamais le jour – est montrée lors de cette exposition. L’essentiel des oeuvres proviennent du Musée Pouchkine, à Moscou, et elles couvrent une décennie de création, entre 1919 et 1929. Ce sont évidemment les plus riches d’un itinéraire au cours duquel Rodtchenko peint, dessine, élabore des projets de construction. L’enthousiasme n’est pas seulement celui de l’aurore bolchevique : il est aussi celui d’un art qui, depuis l’aube du xxe siècle, en Russie et dans le reste de l’Europe, mène ses propres révolutions. Certes, Rodtchenko n’est pas le seul à promouvoir un art qui doit être ancré dans la société tout en affirmant les valeurs d’une avant-garde tous azimuts. Ainsi, on verra ici des peintures (« Compositions sur fond jaune », « Points. Composition [n° 120] »), des dessins (ainsi celui de ce lutteur « Champion de la République socialiste fédérative soviétique de Russie »), des esquisses ou études pour des vêtements de travail et des pièces de vaisselle. Moins connues sont ses affiches (dont certaines ont été reconstituées) vantant les mérites d’une tétine (!) ou de produits alimentaires. En fin de parcours, on retrouve un choix de photographies, souvent connues, tels ces portraits de Maïakovski, de Lili Brik ou de la mère de l’artiste.
On pourrait reprocher à cette exposition d’éviter toute approche politique critique, le contexte révolutionnaire puis stalinien n’apparaissant qu’en arrièreplan. Mais, à l’inverse, on mesure la prodigieuse activité créatrice de Rodtchenko. Cet élan sera stoppé net après la mort de Lénine. Et Rodtchenko, comme tant d’autres, sera mis au pas.