Barbe-Bleue en Australie
DEUX SOEURS, PAR ELIZABETH HARROWER, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR PAULE GUIVARCH, RIVAGES, 336 P., 22,50 EUROS.
Oubliés le château, le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie. Barbe-Bleue vit à Sydney et roule en jaguar. Du moins son avatar dans le roman d’Elizabeth Harrower (photo), transposition très libre du conte de Perrault dans l’Australie de l’après-guerre. Inédit en français, le livre fut un succès à sa sortie en 1966. Peu de temps après, son auteure s’éclipsait de la scène littéraire. La France a découvert cette Garbo des lettres australiennes, âgée aujourd’hui de 89 ans, l’an dernier seulement avec « Un certain monde », bijou d’acuité psychologique tout comme l’est « Deux Soeurs ». Par égoïsme pur, une femme abandonne ses filles à leur sort. L’aînée, Laura, se voit mariée à un certain Felix, entrepreneur louche mais fortuné ; Clare, la cadette, est confiée au jeune couple. Très vite, la demeure qui accueille le trio devient le théâtre d’un huis clos suprêmement toxique. Felix se révèle un tyran domestique violent et manipulateur. Tandis que Laura se soumet, Clare tente de résister. Une folie délétère contamine chaque scène, chaque phrase. Grâce à l’habileté retorse de Harrower, le lecteur se retrouve lui aussi prisonnier de cette nasse de névroses. Un thriller raffiné aux accents gothiques, à mi-chemin entre « Rebecca » de Daphné du Maurier et « Misery » de Stephen King.