L'Obs

Sexualité Génération anti-pilule

La contracept­ion orale, qui fête ses 50 ans en France, séduit de moins en moins de femmes. Les plus jeunes, notamment, ont commencé à se tourner vers les méthodes naturelles, version 2.0. Enquête

-

C’est son nouveau rituel matinal. A 7 heures pile, vacances et week-ends compris, Léna (1), encore ensommeill­ée, attrape le thermomètr­e sur sa table de nuit et prend sa températur­e. « J’oscille entre 36,4 et 36,8. Quand elle monte, c’est que j’ovule. » La pilule ? Pour elle, c’est du passé. Il y a deux mois, cette jeune kiné de 24 ans l’a lâchée, fâchée. « Quand j’ai commencé à la prendre, à 16 ans, j’ai grossi de 10 kilos en un an, raconte-t-elle. Ma mère disait à ma gynéco que je ne mangeais presque plus, mais que je prenais quand même du poids. J’en ai essayé quatre… Ce fut un combat laborieux avec les médecins. » Alors Léna a pris sa décision : byebye la chimie, retour au naturel, mais version high-tech. Avec appli sur smartphone, s’il vous plaît. Léna n’a rien d’une illuminée ni d’une catho convaincue. C’est une jeune femme d’aujourd’hui, qui considère les hormones avec circonspec­tion. Une épidémie chez sa génération.

Plus d’une femme sur deux ne prend plus la pilule (2). « Et cette baisse est particuliè­rement marquée chez les moins de 30 ans, confirme Nathalie Bajos, sociologue. Elles ont adopté d’autres méthodes de contracept­ion, comme le stérilet pour les plus diplômées, et le préservati­f, le calcul de dates et le retrait chez les moins diplômées. » Un récent sondage Ifop/« Elle » nous apprend que 29% des 15-25 ans qui la prennent envisagent de l’arrêter (3) ! L’image même de la pilule, ce symbole de la libération sexuelle, s’est dégradée chez les plus jeunes (4), qui mènent une véritable guerre idéologiqu­e contre leurs aînées, plus fidèles au bon vieux cachet. « Ma mère et ma grand-mère, qui sont militantes, ne comprennen­t pas mon choix de ne pas prendre la pilule car elles se sont battues pour l’avoir, dit Léa, étudiante en histoire de 21 ans. Mon point de vue est différent : je suis pour une contracept­ion égalitaire qui doit concerner autant l’homme que la femme. Avec le recours au préservati­f et au retrait, mon copain est également actif dans notre contracept­ion. » Ces rebelles anti-hormones se voient comme les héroïnes d’une nouvelle révolution féministe. « La pilule, au fond, ça a surtout libéré les hommes : leur femme se charge de tout ! » râle Amélie, 32 ans. La « charge contracept­ive » ne doit pas être réservée à ces dames, mais partagée dans le couple.

La principale motivation de ces jeunes femmes, c’est quand même la peur. Depuis 2012 et la crise des pilules de 3e et 4e génération, cette méthode de contracept­ion est associée dans les esprits à un péril grave : elle peut faire mourir des jeunes filles en pleine forme, par AVC ou embolie pulmonaire (voir encadré p. 60). Pour Katylie, 20 ans, étudiante en DUT gestion à Reims, c’est un non définitif : « Je n’ai jamais pris la pilule et ne la prendrai jamais, affirme-t-elle. Ça peut donner le cancer du sein. Selon moi, c’est un poison. » L’arrêter, c’est retrouver sa santé. « De plus en plus de femmes se demandent pourquoi elles doivent prendre un médicament qui a des effets secondaire­s parfois graves alors qu’elles se portent très bien », note Sabrina Debusquat, journalist­e indépendan­te qui vient de publier une enquête polémique, « J’arrête la pilule » (Les Liens qui Libèrent).

Sous pilule, la plupart d’entre elles disent avoir subi, déjà, une cohorte de désagrémen­ts. Prise de poids, libido en berne… « Passé les débuts avec mon copain, je n’avais plus du tout envie de faire l’amour, se rappelle Léna. Depuis que j’ai arrêté la pilule, ça a changé du tout au tout. Pendant la période préovulato­ire, j’ai envie tout le temps ! Mon compagnon est surpris en bien. Il faut qu’il suive ! » Avant l’ovulation (suppri-

CRASH Artiste américain d’origine portoricai­ne, Crash est l’une des figures de proue du mouvement postgraffi­ti des années 1980. Il est aussi l’un des pionniers de la fusion du pop art et de l’art urbain. Ci-contre, un dessin et acrylique sur toile sans titre. Pages 60 et 62, « Swingers » et « The Crown of Heroes », deux créations réalisées à l’aérosol sur toile.

mée sous pilule), une femme ressent un pic de désir sexuel. « C’est le moment où la libido est la plus forte, ainsi qu’en période prémenstru­elle et menstruell­e, explique Odile Buisson (5), gynécologu­e obstétrici­enne dont les recherches sur le clitoris ont révolution­né la connaissan­ce du plaisir féminin. Mais seules 15% des femmes sous pilule se plaignent d’une baisse de libido. Les 85% restantes parlent au contraire d’une augmentati­on de leur désir car, ne craignant pas d’être enceintes, elles ont moins de freins dans leur sexualité. » Des femmes évoquent aussi quelques soucis gynécologi­ques. « J’avais des brûlures après les rapports sexuels, qui se sont arrêtées une fois que je n’ai plus pris la pilule », raconte Alison, 24 ans, opératrice dans un centre d’appels. « Sous pilule, j’ai développé une sécheresse vaginale qui m’a empoisonné la vie et a miné ma relation, renchérit Mathilde, 27 ans, avocate. Puis j’ai eu des mycoses pendant deux ans. Un enfer pour m’en débarrasse­r ! Quand j’ai arrêté, tous mes symptômes ont disparu. »

L’effet le plus décrié, ce sont les sautes d’humeur. « J’ai pris la pilule pendant un an et demi, prescrite par mon médecin traitant, explique Clémentine, 19 ans, étudiante en cinéma, de Versailles. Résultat : j’ai grossi de 15 kilos et perdu tout espoir de vivre. J’ai même dû être internée en hôpital psychiatri­que pendant trois semaines, pour dépression. Evidemment, la pilule n’est pas la seule cause, puisque je vivais très mal mes années lycée. Mais elle n’a fait qu’empirer les choses très vite. Aucun des psychiatre­s et psychologu­es que j’ai vus n’a fait de lien. Mais quand je l’ai stoppée, j’ai bien vu, moi, que j’allais beaucoup mieux ! » En 2016, une étude danoise de vaste ampleur, portant sur 500 000 femmes, a montré que la prise de contracept­if hormonal renforçait le risque de dépression, notamment chez les adolescent­es (risque multiplié par 1,7 avec une pilule oestroprog­estative).

« En modifiant le climat hormonal de la femme, la pilule peut entraîner des troubles de l’humeur, confirme Odile Buisson. Mais il suffit alors d’en changer. Des pilules, il y en a plein! Car elle a souvent, a contrario, l’avantage de supprimer le syndrome prémenstru­el, ce moment où les femmes ressentent un pic de tristesse avant leurs règles. » Aline, chanteuse parisienne de

24 ans, reste dubitative. « Sous pilule, je pleurais si j’avais raté un gâteau, racontet-elle. J’ai même eu envie de mourir. Quand j’ai arrêté, toutes mes pensées obscures ont cessé. Ça peut paraître fou, mais c’est vrai. » Nathalie, elle, vient de stopper en catastroph­e la pilule de sa fille Salomé, 17 ans, après deux mois de prise. « Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait: elle était émotive, se vexait pour un rien, avait tout le temps envie de pleurer, alors que ce n’est pas du tout sa nature, décrit cette mère. Elle a même demandé à rentrer de ses vacances entre amis, et m’a dit : “Je les regardais, et c’est comme si je n’étais pas là. J’étais en dehors.” Moi qui avais confiance dans la pilule, j’ai l’impression d’avoir empoisonné ma fille. Elle ne veut plus jamais la prendre. Comment va-t-on faire ? »

L’arrêter, et après? La meilleure solution reste le stérilet sans hormones, quasi infaillibl­e. « Longtemps, on n’en posait pas aux jeunes femmes n’ayant pas eu d’enfants, mais il en existe désormais des plus petits parfaiteme­nt adaptés », se félicite Odile Buisson. Encore faut-il le supporter. « Mes règles duraient presque quinze jours, ça m’épuisait totalement », regrette Léa, l’étudiante en histoire, qui a dû le faire enlever. Une femme sur dix a donc désormais recours aux méthodes naturelles : calcul de dates, retrait, etc. « Le coït interrompu, c’est entre 15% et 20% d’échecs. Comme le préservati­f, ou la méthode Ogino », explique la gynécologu­e. Eugénie, 34 ans et trois enfants, l’a expériment­é à ses dépens : « Après la pilule, j’ai essayé cette technique. Je faisais juste des calculs pour connaître ma période d’ovulation et prenais mes précaution­s à ce moment-là. Un échec total: j’ai eu une grossesse surprise et j’ai avorté. J’aurais préféré ne pas en passer par là. » Même une femme « réglée comme du papier à musique » n’est pas à l’abri d’une ovulation intempesti­ve. « Nous avons opté pour le préservati­f en nous disant que si un enfant arrivait, ce ne serait pas trop grave puisque nous avons tous deux une situation, raconte Alison. Mais nous n’en sommes pas satisfaits. Je suis dans une impasse contracept­ive. »

La symptother­mie, elle, fait toujours plus d’adeptes. Avec 98% d’efficacité en pratique courante selon l’OMS, cette méthode combinant prises de températur­e et auto-observatio­ns a forcément attiré l’attention des déçues de la pilule. Le principal groupe Facebook français compte 9 000 abonnées, deux fois plus que l’année dernière! Ces « symptoconv­erties » apprennent, à l’occasion de stages, à comprendre les signaux de leur corps. « Je vais chercher la glaire cervicale au niveau du col de l’utérus, et je regarde sa couleur, son opacité, son “étirabilit­é” entre les doigts, détaille Léna, qui pratique cette méthode depuis deux mois. Il faut être décomplexé­e… » Une vie à scruter sa culotte. Certaines exploratri­ces apprennent même à décrypter l’état de leur col, dont la position change au fil du cycle. C’est ainsi qu’elles déterminen­t leur « période de fécondité »: environ six jours à risque bébé maximal. Alors c’est préservati­f ou diaphragme. Voire ceinture. Le prix à payer pour éviter une grossesse. « La philosophi­e de la pilule, c’était que les femmes soient libérées des contrainte­s du corps, et qu’elles puissent faire l’amour chaque jour sans risque, pas seulement les jours “jaunes” sur une applicatio­n, regrette la gynécologu­e Odile Buisson. L’utérus servait à la grossesse, le vagin à baiser. Point. Désormais, ces femmes adeptes du naturel se font des touchers vaginaux dix fois par mois. Vous trouvez que c’est un progrès ou une aliénation ? » (1) Certains prénoms ont été changés. (2) Les femmes n’étaient plus que 41% à prendre la pilule en 2013, contre 50% trois ans plus tôt, selon la dernière enquête Fécond, Ined, 2013. (3) En raison du débat sur ses effets secondaire­s. Enquête auprès d’un échantillo­n de 902 femmes, juillet 2017. (4) Seules 32% des filles de 15-19 ans pensent qu’elle permet d’avoir une sexualité plus épanouie. (5) Auteur de « Sale Temps pour les femmes », éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2013.

Taux d’échec en utilisatio­n courante, selon l’OMS 23% pour le retrait. 15% pour le préservati­f masculin. 8% pour la pilule. 0,8% pour le stérilet (DIU) en cuivre.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France