L'Obs

La belle de Gauguin

GAUGUIN, PAR ÉDOUARD DELUC. DRAME FRANÇAIS, AVEC VINCENT CASSEL, TUHEÏ ADAMS, MALIK ZIDI (1H42).

- BERNARD GÉNIÈS

Pourquoi Paul Gauguin (1848-1903) a-t-il décidé de quitter Paris, abandonnan­t femme, enfants et amis pour mettre le cap sur Tahiti en 1891 ? Lecteur de Pierre Loti, et de son mythique « Mariage de Loti », le peintre pensait vraiment trouver le paradis en Polynésie. Adieu la misère, adieu les échecs ! L’histoire s’est révélée bien plus compliquée qu’il ne l’avait imaginé. C’est à partir du livre « Noa Noa », que l’artiste maudit rédigea lors de ce premier séjour, qu’Edouard Deluc a bâti le scénario de « Gauguin ». Il ne s’agit pas cependant d’une lecture fidèle de cet ouvrage, mais d’une adaptation. Quand on sait que Gauguin lui-même a pris quelques libertés avec ce qu’il a réellement vécu, il est évident que ce voyage-là sera placé pour une bonne part sous le signe de la fiction. C’est d’abord une histoire d’amour qui nous est racontée, celle unissant l’artiste (Vincent Cassel) et une jeune Tahitienne, Tehura (Tuheï Adams). Pour ne pas choquer les âmes contempora­ines, le rôle a été vieilli, la gamine que Gauguin fréquenta dans la réalité devenant ici une honorable jeune femme.

Les paysages sont somptueux, mais la caméra de Deluc refuse la carte postale, délaissant les eaux turquoise des lagons pour capturer plutôt les cascades dégringola­nt des pentes rocheuses couvertes d’une jungle épaisse. Face à sa compagne (elle va lui servir de modèle pour quelquesun­s de ses plus beaux tableaux), Gauguin dessine, peint, sculpte. Le scénario laisse de côté ses interrogat­ions et ses proclamati­ons sur la peinture, privilégia­nt le tableau d’une relation amoureuse. « Gauguin » est un film sensible et somptueux. Tournée à Tahiti, cette épopée sentimenta­le et artistique concilie la majesté des décors et une quête intime, rythmée par la présence d’une nature puissante et celle d’un monde où rôdent parfois, dans la nuit, les fantômes d’esprits maléfiques. Vincent Cassel ne ressemble pas vraiment à Gauguin (il est plus grand, il n’a pas son regard sombre), mais il donne vie à un personnage qui, malgré la misère, que le paradis tahitien n’a pas abolie, et malgré la solitude, réussit à préserver sa dignité. A ses côtés, Tuheï Adams joue, sans fausse ingénuité, le rôle d’une compagne attachée à ses racines tahitienne­s. A la fin du film, une très belle scène les réunit, le temps d’une séance de pose. Les larmes gonflent leurs yeux. Ils ne disent rien. Et Gauguin peint.

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Tuheï Adams et Vincent Cassel.

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