L'Obs

L’humeur

- Par JÉRÔME GARCIN J. G.

de Jérôme Garcin

Je ne suis pas un écrivain médiatique. » En pleine rentrée littéraire, la première phrase du nouveau livre de Georges Picard ressemble à un pied de nez. Ou à un bras d’honneur. « J’estime que la rencontre d’un auteur et de ses lecteurs doit se faire par la lecture et non par le biais des médias. » Et encore : « L’auteur se trahit lui-même lorsqu’il se paraphrase devant un micro ou une caméra. » On profitera néanmoins du média dont on dispose pour vous conseiller – j’ai failli écrire « ordonner » – d’ouvrir « Cher lecteur » (José Corti, 17 euros). Vous ne le lâcherez plus. C’est une merveille. Sur le ton de la confidence, dans une prose souple dont il veut qu’elle restitue le timbre de sa voix, au fil de digression­s que Montaigne appelait des « sauts et gambades », Georges Picard exprime sa gratitude aux livres, qui ont rendu sa vie plus belle, plus vaste, plus enfantine. A l’écriture, qui est, à l’en croire et pourvu qu’on invente le « point d’hésitation », la seule manière de penser (« Je me demande comment réfléchiss­ent les gens qui ne lisent pas ou n’écrivent pas »). Et à son père, un ouvrier qui abandonna l’école à 12 ans, mais avait le goût de la lecture, et ouvrit à son fils « la porte sublime par laquelle sont entrés des mondes, des personnage­s, des idées, des sentiments inconnus magnifiés par Dumas, Balzac, Lamartine, Musset, Flaubert, etc. ». A son tour, Georges Picard ouvre, sans chichis ni cérémonie, la porte de sa bibliothèq­ue. Elle est pleine de classiques fameux et de contempora­ins méconnus, mais vide de tout préjugé. Le « Journal » de Charles Du Bos y voisine en effet avec les miscellané­es de Philippe Delerm, les « Pensées » rigoureuse­s de Pascal avec la langue « chiffonniè­re » de Frédéric Dard et les « Papiers collés » de l’intraitabl­e Georges Perros avec les « Carnets » de feu André Blanchard, qui fut, à Vesoul, son alter ego et son correspond­ant. On n’y trouvera, en revanche, ni « best-sellers à la noix » ni « marmelades de mots et de platitudes mises en pots par de pitoyables éditeurs ». De son passé de militant maoïste, Georges Picard a gardé la détestatio­n de la « sous-culture majoritair­e, venimeusem­ent proposée par le capitalism­e libéral et marchand ». Il publie d’ailleurs « Cher lecteur » chez José Corti, dernier éditeur à l’ancienne au catalogue duquel on trouve, de Julien Gracq, « En lisant en écrivant », dont Picard dit que c’est une incitation puissante à relire et repenser les grandes oeuvres. L’élève y parvient très bien aussi.

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