L'Obs

“Cocteau disait : « A trop vouloir déboulonne­r les statues, on risque de devenir statue soi-même. »”

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ans « le Nouvel Observateu­r » des années 1980, on lisait de drôles de choses, tout de même : « Camarades amants, faites comme moi : réservez vos scènes de ménage à vos maîtresses » (technique pour préserver la paix conjugale). Ou encore : « La femme seule a toujours tort. Elle est seule au resto, c’est pour se faire draguer. Seule au ciné, pour se faire peloter. Seule dans la rue, pour se faire violer. Seule au lit pour dépeupler la France, les jambes cyniquemen­t ouvertes dans la position d’attente du prince charmant. » Ces choses-là étaient signées Pierre Desproges, pour qui « l’antifémini­sme » était « un racisme aussi stupide que les autres ». On les retrouve avec bonheur dans un beaulivre (1) bourré de fac-similés hilarants, de manuscrits décapants, de photos et de collages délirants. Pour la première fois, on entre dans les tiroirs, les placards, la cave de Desproges : il y a là des billets pour « Charlie Hebdo » intitulés « Les étrangers sont nuls », mais aussi des comptines dadaïstes griffonnée­s à la hâte,

“Jusqu’à 30 ans, j’ai vivoté. J’ai tout fait sauf poinçonneu­r d’autobus.”

“L’antifémini­sme était un racisme aussi stupide que les autres.”

“Je n’ai pas eu la chance de vivre une enfance malheureus­e.”

des étiquettes de bouteille détournées, des mèches de cheveux scotchées sur des bouts de papier, d’irrésistib­les déclaratio­ns d’amour à sa femme, Hélène. Et partout, toujours, une passion obstinée pour la langue française. « La langue, la seule chose que je respecte », disait ce lecteur de Ka a, Marcel Aymé et Annie Ernaux, qui cultivait l’élégance jusqu’à feindre la désinvoltu­re.

Desproges, styliste virtuose, savait comme personne passer la connerie à la moulinette. Son courroux faisait coucou aux politiques, aux jeunes, aux militaires, aux beatniks, aux publicitai­res, aux consommate­urs, aux footballeu­rs, à l’homme, « ce bipède égocentriq­ue, gorgé de vinasse, rase-bitume et pousse-à-la-fiente ». C’est aussi qu’il ne se remettait pas d’avoir été le contempora­in, enfant, des camps d’exterminat­ion. Et la suite des événements ne l’avait pas vraiment retenu de corriger Eluard : « Sur le collier du chien que tu laisses au mois d’août / Sur le cahier d’écolier de mes enfants irradiés / J’écris ton nom / HOMME. » Faut-il conclure que ce génie-là, qui ne détestait pas « passer pour un con auprès des idiots », était une sorte de salopard anti-humaniste ? Même pas. Ce fan de Cavanna avait juste compris que « les gens malheureux ne connaissen­t pas leur bonheur ».

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« Ma puberté », d’après « Ma liberté » de Georges Moustaki.
 ??  ?? « Pierre Desproges, le rigolo qui dure vraiment plus longtemps », parodie de la pub Duracell (1986).
« Pierre Desproges, le rigolo qui dure vraiment plus longtemps », parodie de la pub Duracell (1986).
 ??  ?? « Rats » (1959), extrait des carnets de l’humoriste.
« Rats » (1959), extrait des carnets de l’humoriste.
 ??  ?? Né en 1939 à Pantin, journalist­e, humoriste, écrivain, Pierre Desproges est notamment l’auteur de « Vivons heureux en attendant la mort ». Il a succombé à un cancer, à Paris, en 1988.A l’âge de 15 ans, au Laos, où il passa un an avec son père, avant d’aller vivre en Côte d’Ivoire. BIO EXPRESS
Né en 1939 à Pantin, journalist­e, humoriste, écrivain, Pierre Desproges est notamment l’auteur de « Vivons heureux en attendant la mort ». Il a succombé à un cancer, à Paris, en 1988.A l’âge de 15 ans, au Laos, où il passa un an avec son père, avant d’aller vivre en Côte d’Ivoire. BIO EXPRESS
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 ??  ?? Pour « le Journal du dimanche », il anticipe l’inaugurati­on du bassin de l’Arsenal, à Paris, en 1979.
Pour « le Journal du dimanche », il anticipe l’inaugurati­on du bassin de l’Arsenal, à Paris, en 1979.
 ??  ?? L’un des nombreux collages de l’artiste, qui aimait faire figurer Mitterrand dans des décors incongrus.
L’un des nombreux collages de l’artiste, qui aimait faire figurer Mitterrand dans des décors incongrus.
 ??  ?? Claude Villers, Luis Rego, Jean Carmet et Pierre Desproges dans l’émission de France-Inter « le Tribunal des flagrants délires » (1980-1983).Avec sa femme, Hélène Desproges, qu’il rencontre en 1968; elle a 21 ans, il en a 29.
Claude Villers, Luis Rego, Jean Carmet et Pierre Desproges dans l’émission de France-Inter « le Tribunal des flagrants délires » (1980-1983).Avec sa femme, Hélène Desproges, qu’il rencontre en 1968; elle a 21 ans, il en a 29.
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Pierre Desproges, aîné de trois enfants, fut élevé dans une ambiance traditionn­elle et enjouée.

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