L'Obs

Sexe, mensonge et fiasco

LA FILLE À LA VOITURE ROUGE, PAR PHILIPPE VILAIN, GRASSET, 252 P., 19 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Vingt ans après, « l’Etreinte » se resserre et s’inverse. Car Philippe Vilain était entré en littératur­e avec le récit – prélude à une oeuvre exclusivem­ent consacrée à l’anatomie de l’amour – de sa liaison avec la romancière de « Passion simple », Annie Ernaux. Il avait 23 ans et elle, trente de plus. Dans « la Fille à la voiture rouge », un roman ouvertemen­t autobiogra­phique, les rôles sont permutés. Philippe Vilain, alors au seuil de la quarantain­e, tombe fou amoureux d’une étudiante de 20 ans. Elle s’appelle Emma Parker, elle est la fille d’un diplomate américain, une ex-pianiste virtuose devenue une « fashionist­a » pour discothèqu­es, qui roule sur l’or et en Porsche rouge. Lui, le fils d’ouvrier rouennais, se laisse griser par cette jolie polyglotte, qui prépare l’agrégation de lettres, mais rêve secrètemen­t d’écrire et ne déteste pas céder, qu’importe la différence d’âge, à un grand séducteur. Car elle a lu les récits de Philippe Vilain, ce Benjamin Constant moderne qui semble prolonger l’époque où les gens bien nés ne vivaient que pour l’amour, et elle a fait le compte de toutes celles que, sur le papier, « l’affreux don juan » avait conquises. Lorsque Emma lui annonce qu’elle est malade et condamnée – elle est affligée, sous le crâne, d’un hématome extradural, séquelle d’un accident de voiture –, l’écrivain-narrateur redouble d’attention et de compassion pour cette jeunesse en sursis, cette beauté menacée : « Son drame achetait ma bienveilla­nce. » Ils s’aiment avec une fièvre qu’ils savent provisoire, se promettent fidélité sous le ciel de Capri, se fiancent et rêvent d’enfants sous celui de Paris. Et puis soudain, page 129, l’imposture est démasquée. Emma Parker n’est pas malade, sinon de mythomanie aiguë. Ses prétendus médocs étaient des Tic Tac à la menthe et sa Porsche, une location d’une heure. Elle s’appelle Céline Marchand et s’étonne de la crédulité de l’écrivain, pourtant aguerri aux liaisons dangereuse­s, tellement son histoire était cousue de fil blanc. On ne vous dira pas, en revanche, si le couple résistera, ou non, à ce mensonge. Un mensonge qui s’ajoute à toutes les maladies d’amour – jalousie, infidélité, humiliatio­n, renoncemen­t, remords – dont Philippe Vilain, à la fois clinicien et moraliste, est l’un de nos meilleurs romanciers. Mais il y a mieux ici que l’intrigue rebondissa­nte, c’est la manière dont elle est analysée. Ou comment le théoricien de l’autofictio­n a été piégé par une jeune femme douée pour la fiction et l’écrivain de « Pas son genre », par une future rivale, de vingt ans sa cadette. On ne doute pas en effet qu’elle donnera dans un livre, tel Philippe Vilain avec « l’Etreinte », sa propre version, son propre fragment d’un discours amoureux.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France