L'Obs

CES ULTRAS QUI DÉFIENT MACRON

Black Blocs, Indigènes de la République, Génération identitair­e...

- Par SYLVAIN COURAGE

Au Palais, Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, prend la menace au sérieux. « Nous exerçons une vigilance globale à l’égard des mouvements d’une partie de la jeunesse, à la fois perdue et capable de bloquer les université­s, assurait-il à “l’Obs”, le 24 avril. Mais nous sommes aussi très préoccupés par les groupuscul­es d’extrême droite prêts à en découdre. » Comment ne pas l’être? Trois jours plus tôt, l’excursion « antimigran­ts » d’une centaine de jeunes militants de Génération identitair­e en doudoune bleue, venus « garder » la frontière franco-italienne au col de l’Echelle, avait pris le gouverneme­nt par surprise. « Pas de passage, rentrez dans votre pays », clamait leur immense banderole déployée sur la neige et filmée par deux hélicoptèr­es loués pour l’occasion. Le coup de com était aussi inédit qu’illégal. Et les forces de l’ordre brillaient par leur absence. Le lendemain, en guise de représaill­es, des dizaines de militants antifas français et italiens escortant une trentaine de migrants partaient de la commune de Clavière (Italie) pour rejoindre Briançon et « libérer la frontière », au nez des gendarmes trop peu nombreux pour les contenir.

On avait fini par douter de l’émergence d’une génération radicale. Désormais, ce n’est plus possible. Bataille rangée dans les rues de Nantes pour défendre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, blocage des université­s au nom de la lutte contre la loi orientatio­n et réussite des étudiants (ORE), irruption de 1 200 Black Blocs en tête du cortège du 1er-Mai et destructio­n de symboles du capitalism­e en plein Paris… « On assiste à un retour de flamme de la radicalité », assure Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoi­re des Radicalité­s politiques à la Fondation Jean-Jaurès (voir p. 30). « Les guerres de territoire­s » évoquées par certaines notes de la DCRI se multiplien­t.

Pour les nouveaux extrémiste­s de tout poil qui vomissent le « système », il s’agit de reconquéri­r l’espace public en occupant la rue, l’amphi, la ZAD ou la frontière. Sous l’oeil des réseaux sociaux et des médias, l’Etat et sa « violence légitime » sont défiés. A Notre-Dame-des-Landes ou dans les rues de Montpellie­r, le combat est asymétriqu­e. Mais la moindre bavure policière peut être exploitée par les opposition­s au gouverneme­nt.

Le 27 avril dernier, la police de SaintEtien­ne a dû s’interposer entre une soixantain­e de militants d’extrême droite venus inaugurer un local de l’Action française et une centaine de militants antifas venus les en empêcher… Quatre militants néofascist­es ont été présentés au parquet pour « participat­ion à un attroupeme­nt armé ».

Cette émergence d’une génération radicale est corroborée par une récente étude sociologiq­ue. Après avoir interrogé 7 000 lycéens de 15 à 17 ans, les sociologue­s Anne Muxel et Olivier Galland y établissen­t que la « tentation radicale » touche « une proportion significat­ive de la jeunesse ». « Une minorité – un lycéen sur cinq – est concernée par une radicalité de “rupture” caractéris­ée par une opposition frontale à la société et par l’acceptatio­n de la violence politique », a expliqué Anne Muxel.

La portée de cette enquête a été occultée par une polémique sur l’intégrisme islamique. Selon les sociologue­s du Cevipof, qui ont volontaire­ment surpondéré le nombre de jeunes musulmans dans leur échantillo­n, un tiers d’entre eux justifiera­it la violence pour défendre leur religion (contre un chrétien sur dix). « Les auteurs ne comprennen­t rien à la religion », a répliqué dans « l’Obs » l’islamologu­e Olivier Roy, qui leur reproche de ne pas distinguer radicalité religieuse et politique.

A l’Elysée, en tout cas, le phénomène est considéré dans sa globalité. « Le président considère que toutes les formes de radicalisa­tion sont des symptômes d’une distension du lien national, explique un proche collaborat­eur du président. Djihadiste­s, Black Blocs ou identitair­es sont dans une recherche

d’absolu qui les conduit paradoxale­ment à tout casser. Voilà pourquoi le président s’attache à reconstrui­re des figures de héros et des motifs d’engagement qui doivent aider tous les Français à faire nation. C’est un travail de longue haleine dans une société d’individus trop souvent déresponsa­bilisés. »

Confronté à son tour à des mouvements violents, Emmanuel Macron invoque un lourd héritage. « Ce n’est pas ma victoire l’année dernière qui a fait apparaître ces mouvements de contestati­on. Nuit debout préexistai­t à mon élection. Mais ma responsabi­lité, c’est de m’attaquer aux causes profondes du malaise qu’ils révèlent », a-t-il déclaré au « Figaro » dans l’avion qui le ramenait des antipodes, le 3 mai. Le président qui prétend restaurer le pacte républicai­n, redresser les comptes de l’Etat, réformer le marché du travail se heurte aux mêmes résistance­s que ses prédécesse­urs.

Des émeutes en banlieue de 2005 aux violentes manifestat­ions contre la loi El Khomri en 2016, en passant par les appels à « l’Insurrecti­on qui vient » du Comité invisible de 2007, la décennie porte les stigmates d’une radicalisa­tion à multiples facettes. « Nous serons, dans les années qui viennent, partout où cela crame », a prévenu ce mystérieux « comité » qui domine intellectu­ellement l’ultragauch­e (voir p. 38). « L’émeute, le blocage et l’occupation forment la grammaire élémentair­e de l’époque », a-t-il énoncé dans « Maintenant », son dernier opus paru en septembre 2017. Ultraradic­al et tellement romantique, ce brûlot critique la mollesse du « parlement imaginaire » de Nuit debout, et fascine de nombreux étudiants bloqueurs.

La protestati­on génération­nelle s’est aussi exprimée dans les urnes lors de l’élection présidenti­elle de 2017. Au premier tour, 30% des électeurs de 18 à 25 ans ont voté pour Mélenchon, 21% pour Marine Le Pen (contre 18% seulement pour Emmanuel Macron). Jeunes frontistes et jeunes « insoumis » s’opposent, bien sûr, au sujet de l’immigratio­n et du caractère multicultu­rel et ouvert de la société française. Mais ils se rejoignent dans le refus du « néolibéral­isme », de la mondialisa­tion et du grand marché européen aujourd’hui incarné par Emmanuel Macron.

Devant ses interviewe­urs Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, le 15 avril, le président s’est montré inflexible: « Les profession­nels du désordre, comme disait Michel Audiard, doivent comprendre que nous sommes dans un Etat d’ordre. » Mais cette attitude martiale, qui conduit le gouverneme­nt à évacuer les campus les uns après les autres, n’exclut pas une certaine capacité d’adaptation. A Notre-Dame-des-Landes, le mois dernier, l’évacuation des zadistes sans « titre d’occupation » a bien failli tourner à l’émeute. Devant le tollé, le gouverneme­nt a préféré accorder une période supplément­aire de régularisa­tion des « projets agricoles ». Aux lendemains du 1er-Mai, « l’inaction » des forces de l’ordre face aux casseurs venus en force en tête de cortège a été vivement critiquée. « Mais que nous aurait-on dit s’il y avait eu des blessés ou des victimes ? » se défend-on à l’Elysée. Se mêlant à 14000 « sympathisa­nts » non cagoulés, les Black Blocs ont pour la plupart échappé aux forces de l’ordre : une centaine d’interpella­tions a été effectuée, mais elles n’ont abouti pour l’heure qu’à une seule condamnati­on.

Dénonçant comme il se doit les « violences policières » d’un gouverneme­nt qui « sort la matraque », Jean-Luc Mélenchon et les « insoumis » continuent de rêver à la « convergenc­e des luttes » et au « grand débordemen­t » à la façon de Mai-68. Dans les facultés de sciences humaines, les collectifs « racisés » aux pulsions communauta­ristes et les experts du féminisme « intersecti­onnel » (situation de personnes subissant plusieurs formes de discrimina­tion) instruisen­t le procès d’une France « patriarcal­e et coloniale » (voir p. 34). Mais la grande « marée humaine », plusieurs fois promise finira-t-elle par monter ? Le blocage des partiels de l’université de Nanterre, le 11 mai dernier, encouragé par le député de La France insoumise Eric Coquerel, paraît plutôt symptomati­que d’un enlisement. « Inacceptab­le de voir une minorité bloquer une majorité désirant étudier. Irresponsa­bilité de certains responsabl­es politiques », tweete Christophe Castaner, le délégué général de La République en Marche. Tandis que Coquerel dénonce son « gazage » par la police.

La responsabi­lité de cette fièvre incombe-t-elle au pouvoir présidenti­el et à sa majorité pléthoriqu­e accusée de tuer le débat? Certes, le rythme effréné des réformes et l’empresseme­nt du pouvoir macronien semblent nourrir les extrêmes. « Avec Emmanuel Macron, soit on est d’accord sur tout, soit on n’a pas voix au chapitre. Cela va faire monter les radicalité­s et la violence dans la société et le chef de l’Etat va se retrouver seul au moment du bilan », a prévenu Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Mais ce constat n’exonère surtout pas les opposition­s républicai­nes de leurs responsabi­lités. Ni la droite LR, ni la gauche sociale-démocrate, ni le courant écologiste n’ont trouvé, pour l’heure, les moyens d’exister et de proposer des alternativ­es à la « transforma­tion » en marche. Il est grand temps que ces authentiqu­es démocrates se réveillent.

“L’ÉMEUTE, LE BLOCAGE ET L’OCCUPATION FORMENT LA GRAMMAIRE ÉLÉMENTAIR­E DE L’ÉPOQUE.”

LE COMITÉ INVISIBLE

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Militants du mouvement Génération identitair­e s’opposant à l’arrivée de migrants au col de l’Echelle, à la frontière franco-italienne, le 21 avril.

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